Le père, le fils et le disciple

Six mois après sa nomination à la tête du gouvernement, dresse le bilan de son action, précise ses projets pour le monde rural. Et revient sur ses relations avec le chef de l’État et ses proches. Entretien.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

Nommé le 21 avril 2004 en remplacement d’Idrissa Seck, Macky Sall, 43 ans, est devenu le quatrième Premier ministre d’Abdoulaye Wade… en quatre ans. Réputé discret – certains disent transparent -, ce scientifique de formation, marié et père de deux enfants, se moque éperdument de la réputation de faire-valoir dont ses détracteurs l’affublent. Il est là pour « faire le boulot » et appliquer la politique mise en place par le président. Point final. À preuve, ses premières déclarations de chef du gouvernement : « je suis un disciple du président » ou « j’accueille cette nouvelle charge avec émotion. Je pense que c’est un sacerdoce ».
Militant du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) depuis 1987, il grimpe les échelons quatre à quatre au lendemain de la victoire du 19 mars 2000. Nommé directeur général de la Société des pétroles du Sénégal en décembre de la même année, il devient ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique en mai 2001. En novembre 2002, Gorgui, « le Vieux », en wolof, le nomme ministre d’État, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, porte-parole du gouvernement. Il est également, depuis mai 2002, maire de Fatick (à 140 km de Dakar), où il est né. Dans son bureau de la primature, juste en face du palais présidentiel, l’homme qui nous reçoit, vêtu d’un élégant boubou bleu, est affable. Ses traits semblent marqués du sceau de l’innocence. Visage poupon, regard d’agneau : il n’a pas le physique de l’emploi. Mais après tout, Idrissa Seck non plus…

Jeune Afrique/l’intelligent : Six mois après votre arrivée à la tête du gouvernement, quel premier bilan tirez-vous de votre action ?
Macky Sall : Cette période a été essentiellement consacrée au réaménagement et à la mobilisation du budget 2004, qui a été engagé avant mon arrivée. J’ai immédiatement constaté qu’il était impératif de mieux prendre en charge la question du monde rural. Pour envisager une bonne campagne agricole 2004-2005, essentielle pour notre pays, nous devions procéder à un remaniement du budget. Cela nous a permis de prendre des mesures
fortes. Comme l’octroi d’une subvention d’environ 70 % du matériel agricole, décision importante pour renforcer les capacités de production. Cette aide de l’État concerne également les semences et les engrais.
Pour la première fois, en 2005, nous allons mettre en place un budget par objectif. Nous allons faire des arbitrages pour affecter des sommes importantes à des secteurs qui doivent mobiliser toutes les énergies. C’est le cas de la circulation urbaine dans Dakar et sa banlieue pour laquelle nous allons affecter 74 milliards de F CFA sur fonds propres de l’État. Un vaste chantier d’infrastructures routières sera ouvert : élargissement de l’autoroute, mise en place d’échangeurs, transports en commun, etc.
Enfin, l’éducation va représenter 40 % de notre budget, ce qui nous place au premier rang mondial, et la santé 10 %. La demande sociale formulée par les Sénégalais est forte. Nous tentons ainsi d’y répondre.
J.A.I. : Pourquoi avoir attendu si longtemps pour votre déclaration de politique générale ?
M.S. : Il s’agit uniquement d’une question de calendrier interne. Je suis arrivé à la fin du mois d’avril. J’avais programmé ma déclaration au début du mois de mai. Mais un certain nombre de travaux engagés au Parlement un immeuble doit abriter de nouveaux
locaux m’ont amené à la reporter, en accord avec le président de l’Assemblée, à la fin du mois de juillet. Il s’est trouvé que le gouvernement avait décidé, avant la fin de juillet, d’étaler ses congés entre la mi-juillet et la mi-août. Nous avons tout annulé en raison de l’invasion acridienne. Les priorités ont été redéfinies, le budget a été remanié. J’ai donc privilégié cette tâche. Mais dès l’ouverture de la session parlementaire, je prendrai le chemin de l’Assemblée pour cette déclaration, le 20 octobre. Je dois toutefois préciser que pendant ce temps, nous n’avons pas chômé
J.A.I. : Quelles conséquences les événements sanglants des 6 et 7 octobre en Guinée-Bissau peuvent-ils avoir pour le Sénégal ?
M.S. : Cela dépend de l’évolution de la situation. Nous souhaitons qu’elle se normalise au plus vite. Il s’agit d’un pays qui a connu beaucoup de difficultés depuis la guerre de libération, de 1963 à nos jours. Nous sommes solidaires des Bissauguinéens. Plus largement, nous devons réfléchir aux missions onusiennes de maintien de la paix. Il ne s’agit pas de s’en passer, mais il ne faut pas que les pays pourvoyeurs de soldats en fassent les frais. On ne peut en arriver là simplement à cause de retards de paiement de
primes! [Parmi les revendications des mutins figuraient le règlement des impayés dus à leurs camarades mobilisés au sein de la Mission des Nations unies au Liberia ainsi que l’octroi de pensions pour les familles de soldats morts au cours de cette opération de
maintien de la paix, NDLR.] La communauté internationale doit repenser les formes d’intervention et les conditions dans lesquelles elles se font avec les différentes armées nationales africaines. Je suis convaincu que nous trouverons des solutions. Le Sénégal, bien entendu, est conscient de ces problèmes. Nous avons celui de la Casamance, qui est en voie de résolution. Et il faut qu’au sud de la Casamance la situation soit apaisée.
J.A.I. : On parle beaucoup actuellement de la refonte du fichier électoral. Le président Wade souhaite une refonte totale, contrairement à l’opposition. Où en est-on ?
M.S. : Quand j’étais ministre de l’Intérieur, l’opposition avait refusé de venir à la
table des négociations, exigeant de s’adresser directement au chef de l’État Ce qui a été fait. Mais à l’époque des divergences existaient déjà en son sein. Mais je rappelle que c’est elle qui avait demandé la modification de ce fichier. La question se pose aujourd’hui de savoir si cette refonte doit être partielle ou totale. Et, à vrai dire, ce débat a également lieu au sein de la majorité présidentielle. Le chef de l’État a écouté toutes les parties et, pour éviter toute forme de contestation, a décidé de repartir de
zéro. Tout le monde se réinscrit ! Pour accompagner cette mesure, nous mettons en place un nouveau système, numérisé, de carte nationale d’identité. Afin d’éviter toute sorte de fraude. Nous souhaitons organiser les élections législatives de 2006 dans la plus grande transparence.
J.A.I. : Comment qualifierez-vous vos rapports avec le président ?
M.S. : Il s’agit de relations de confiance, qui ne datent pas d’aujourd’hui d’ailleurs. Je l’ai connu en 1988, quand il était encore dans l’opposition. Je terminais mes études d’ingénieur. Nous avons cheminé ensemble depuis cette date, depuis sa sortie de prison. J’ai appris à connaître l’homme, petit à petit. Et j’ai constaté qu’il est en avance sur son temps. J’essaie donc dans ma position actuelle de traduire en actes concrets la vision
qu’il a définie, son projet de société.
J.A.I. : On vous présente souvent comme un personnage lisse, une sorte de faire-valoir, très proche de Karim Wade
M.S. : C’est de bonne guerre que mes adversaires tentent de me présenter ainsi. Il est vrai que je ne suis pas quelqu’un d’expansif ou d’exubérant. Ma nature est ainsi. Chacun la sienne. Je suis de formation scientifique, je travaille de manière discrète. Ceci explique peut-être cela. Maintenant, tout le monde a des ambitions. La mienne est de mettre en uvre la politique du président. Chaque chose en son temps. Je l’accompagne
jusqu’à la fin de son septennat en avril 2007 [date à partir de laquelle le mandat présidentiel sera ramené à cinq ans, NDLR]. Et ma volonté profonde est de le faire réélire. Il en va de l’avenir du Sénégal. À partir de ce moment, ma mission aura été accomplie. Le reste appartient à Dieu.
Quant à Karim Wade, je le connais depuis longtemps. Déjà, en 1992-1993, nous menions campagne, à un moment où c’était difficile. J’étais retourné en formation complémentaire,
à l’École nationale supérieure du pétrole et des moteurs à Paris, lui était en maîtrise à la Sorbonne. Le soir, on se retrouvait dans notre quartier général de la tour Atlantique, à la Défense. Nos relations datent de cette époque. Cela peut gêner certains, mais ne me
semble pas déterminant dans la marche de l’État ni du parti. Chacun peut avoir des amis, non ?

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