« Le Figaro » change de tête

Après des mois de turbulences, la nomination d’une nouvelle direction semble avoir apaisé les esprits au sein de la rédaction du quotidien français.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

On s’y attendait depuis que Serge Dassault avait pris les commandes du groupe de presse français Socpresse en juillet dernier. Voilà qui est fait. L’avionneur vient de débarquer deux des piliers du Figaro – le titre phare parmi les soixante-dix que compte le groupe. Yves de Chaisemartin, le patron du quotidien, ainsi que Jean de Belot, le directeur de la rédaction, ont tous deux quitté leur bureau de la rue du Louvre, à Paris, non sans avoir empoché de coquettes primes… Chacun a toutefois été poliment remercié pour des raisons différentes.
Chaisemartin faisait figure de gêneur. Lui qui avait martelé qu’il resterait, avec son acolyte Michel Sénamaud, également licencié, « seul maître à bord de cette entreprise », aurait sans nul doute fait de l’ombre à Dassault en restant à son poste.
Jean de Belot, lui, était au contraire trop proche du nouveau PDG. Au point d’être honni par les journalistes. Sans compter que collaborateurs et lecteurs avaient vu d’un mauvais oeil sa mise en examen, en mai 2003, pour « recel de délit d’initié ». Une affaire qui remonte à 1999, du temps où Belot dirigeait le supplément « Figaro Économie » et avait exploité, à des fins personnelles, des informations confidentielles sur l’offre publique d’échange entre Carrefour et Promodès…
Si Chaisemartin ne remettra probablement plus les pieds rue du Louvre, Belot devrait bénéficier d’un « recyclage » au sein du groupe. C’est du moins ce que lui a promis Dassault.
Après des mois de turbulences, à tous les niveaux hiérarchiques du Figaro, il semblerait que le calme soit enfin revenu. C’est là le premier effet de la nomination au poste de directeur de la rédaction du très libéral Nicolas Beytout. Pour la présidente de la Société des rédacteurs du Figaro, Armelle Héliot, « le discours de Nicolas Beytout a rassuré une rédaction qui s’était ressoudée à l’occasion du vote de la motion de réponse à M. Dassault, approuvée par 93 % des journalistes le 20 septembre ». Les journalistes avaient alors rappelé leur exigence d’indépendance. Ils ne veulent plus que Serge Dassault, grand patron et sénateur UMP (droite) depuis le 26 septembre, influe sur le contenu éditorial du quotidien.
Comment l’ancien directeur du quotidien économique Les Échos s’y est-il pris pour apaiser les esprits échauffés de journalistes scandalisés par les coups de ciseaux de leur nouveau PDG-sénateur ?
Tout d’abord, le personnage plaît, malgré sa froideur. Ce professionnel de la presse, âgé de 48 ans, a la réputation d’être un bûcheur, et on lui reconnaît d’avoir un jugement plutôt juste. Nicolas Beytout est tombé dans la presse quand il était petit. Plus exactement, quand la deuxième femme de son grand-père, Jacqueline, rachète Les Échos à la famille Servan-Schreiber en 1963. À 30 ans, le jeune Beytout est propulsé rédacteur en chef de ce magazine, qui sera finalement cédé en 1988 au groupe britannique Pearson, propriétaire du célèbre Financial Times. Certes, les années 2002-2004 n’ont pas été glorieuses pour le premier quotidien économique de France (la diffusion a chuté de 2,65 % entre 2002 et 2003, et la publicité de 18 %), mais c’est l’ensemble de la presse qui a été boudé par les Français et par les annonceurs.
L’autre nouvel arrivant, François Morel, peut aussi se targuer d’un parcours sans faute dans le monde des médias. Que ce soit aux Éditions Mondiales, au sein du groupe TF1, ou à la présidence de Media Mag SA (devenue en 2002 le holding Axel Springer France), cet homme de 56 ans rassemble aujourd’hui nombre d’atouts pour assumer le poste de directeur général d’un grand quotidien national.
Forts de leur background, les deux nouveaux directeurs ont annoncé leurs intentions, lesquelles ont été bien accueillies. Nicolas Beytout a notamment insisté sur la nécessité d’avoir une ligne hiérarchique claire, avec une répartition des tâches – et des rubriques – bien définie ainsi que des responsables capables d’assumer leur statut. Il a également déconseillé aux journalistes de gérer eux-mêmes leur portefeuille d’actions afin que le discrédit n’éclabousse pas une nouvelle fois la rédaction, après le scandale provoqué par Jean de Belot. La publicité n’aura plus son mot à dire pour la parution d’articles dans les rubriques « Mode » ou « Tourisme », par exemple. Surtout, Morel et Beytout ont promis la transparence : les journalistes seront informés régulièrement de la marche de la maison.
S’agissant des rapports de la rédaction avec Serge Dassault, Nicolas Beytout a également pris soin de mettre les choses au clair. D’après lui, l’avionneur s’est engagé à ne pas écrire dans le journal comme il en avait eu l’intention. Toutes les opinions auront droit de cité dans les pages « Débats » du quotidien, alors que Dassault aurait souhaité priver les socialistes, par exemple, de cette tribune. Par ailleurs, les journalistes qui traiteront des affaires du groupe n’auront pas à préciser que Le Figaro est propriété de Dassault s’il s’agit d’informations banales, comme une brève ou la confirmation d’un contrat. En revanche, si l’article traite de la stratégie du groupe, il sera fait mention de cette « relation spéciale ».
Autre décision importante : Serge Dassault ne traînera plus dans les locaux du Figaro, lui qui s’installait dans le bureau de Michel Sénamaud, ex-directeur général, quand il venait rue du Louvre, tous les mardis.
Reste maintenant à savoir si l’homme tiendra ses promesses, alors même que l’acquisition de la Socpresse s’inscrit dans une stratégie politique et commerciale. Serge Dassault n’avait pas caché ses intentions en déclamant qu’il se servirait du Figaro « pour faire passer ses idées » ou en soulignant que « certaines informations font plus de mal que de bien ; le risque étant de mettre en péril les intérêts commerciaux ou industriels de notre pays ». Reste aussi à savoir comment, mis à part le projet de nouvelle maquette, Nicolas Beytout et François Morel envisagent de regagner des lecteurs alors que le secteur enregistre des résultats très médiocres.

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