L’après-Biya a déjà commencé

Le pays a donc voté le 11 octobre, sans suspense et sans passion pour un résultat sans surprise. Faut-il s’en plaindre ? Pas forcément.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Vue de Sirius mais aussi, plus prosaïquement, de Paris, de Londres ou de Washington , la présidentielle camerounaise du 11 octobre aura été à peine plus qu’un épiphénomène. La proximité du « D Day » électoral américain, la grève générale au Nigeria et son implication sur le cours du baril, la nette impression aussi que les jeux étaient faits, même dans l’hypothèse où l’opposition présenterait un candidat unique (ce qui, on le sait, n’a pas été le cas), une campagne un peu morne enfin, au cours de laquelle aucun
des postulants n’a crevé l’écran : tout concourait à faire de cet exercice démocratique un
événement à faible teneur médiatique. Sauf au Cameroun, bien sûr. Même si aucun des seize
millions de Camerounais n’ignorait que Paul Biya, 71 ans, allait être réélu pour un nouveau (et très vraisemblablement ultime) mandat de sept ans, les occasions de troubler les eaux dormantes du paysage politique national sont suffisamment rares pour ne pas en profiter surtout dans un pays où chaque citoyen recèle un politologue qui s’ignore.

Le scrutin a-t-il été honnête ?

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À question basique, réponse classique. Le pouvoir répond oui, l’opposition crie à la mascarade, les observateurs ont des avis partagés : impossible donc de trancher. Vraiment ? La victoire de Paul Biya était à ce point inscrite, faute d’adversaire sérieux, que le ministère de l’Intérieur n’avait, en réalité, aucun besoin, ni aucun intérêt, à truquer les résultats. Urnes transparentes et scellées, affichage des listes, présence des représentants de chaque candidat dans chaque bureau de vote (tout au moins en théorie), observateurs nationaux et internationaux multiples, etc. Beaucoup de progrès ont été enregistrés par rapport aux précédentes consultations. Dans ses tournées préélectorales, le ministre de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, a multiplié les messages aux préfets et sous-préfets sur le thème « Jouez le jeu de la transparence, nul ne vous tiendra rigueur si votre département vote pour un candidat de l’opposition ». Les cas, incontestables, de dérapages relevés à travers le pays – cartes multiples, inscriptions introuvables, encre « indélébile » effaçable, etc. et qui ont émaillé le déroulement du scrutin relèveraient donc beaucoup plus de l’inorganisation et de l’inexpérience (le Cameroun étant en phase d’apprentissage technique de la démocratie) que d’une volonté délibérée de frauder. D’autant que nul ne peut raisonnablement soutenir que ces « bavures », qui n’entachent que très marginalement les résultats, remettent en question la victoire de Biya. En va-t-il autant du taux de participation ? Officiellement de 79,5 %, il est partout supérieur à 70 % (avec des pointes à 95 % dans la province du Sud), sauf dans deux départements du Littoral, où la désaffection vis-à-vis de la chose publique est nette, particulièrement chez les jeunes : le Wouri (Douala), il n’est que de 47 %, et le Moungo voisin (51 %). Même s’il se calcule par rapport au nombre d’inscrits, lesquels ne représentent qu’un peu plus de la moitié du corps électoral camerounais – malgré les efforts conjoints du pouvoir et de l’opposition pour mobiliser les votants potentiels -, ce taux de participation semble parfois surévalué. Tout comme peuvent paraître politiquement incorrects certains des scores réalisés par le chef de l’État sortant (100 % à Zoétélé et Meyomessala, dans son Sud natal). Mais là encore, la « volonté de nuire » n’est pas établie, tout au moins de la part du gouvernement et du président en tant que tels. Elle émanerait plutôt d’administrateurs locaux zélés, soucieux d’afficher des résultats « canons » et sans doute beaucoup plus soumis aux consignes du parti-État RDPC qu’à celles de leur ministre de tutelle.

Quelles leçons pour Paul Biya ?

Avec 75 % des voix en sa faveur, le président peut, à l’évidence, s’estimer satisfait, d’autant que la campagne et le scrutin se sont déroulés dans le calme. Qui ne le serait pas, avec un tel plébiscite ? Biya fait carton plein dans le Sud, le Centre et l’Est, son aire traditionnelle. Presque autant dans le Nord, l’Extrême-Nord et l’Adamaoua, confirmant ainsi l’axe géopolitique du pouvoir depuis près de vingt ans. Il l’emporte moins nettement dans le Littoral, dans le Sud-Ouest et dans l’Ouest bamiléké – même si le réflexe de « vote utile » lui a permis d’y enregistrer des progrès par rapport aux précédents scrutins. Il ne perd que dans une seule province, le Nord-Ouest anglophone, où ce vote de défiance traduit autant un rejet de l’État central unifié à dominante francophone qu’une hostilité à sa propre personne. Pour Paul Biya, le plus délicat ne fait sans doute que commencer. À peine les résultats proclamés et sa prestation de serment achevée, commencera le temps des grandes manoeuvres et des petits dauphins. Objectif : sa probable succession, en 2011. Une perspective qu’il va lui falloir gérer, même si, la main sur le coeur, tous les postulants présumés jureront jusqu’au bout qu’elle n’est pas d’actualité. Leur devise : y penser toujours, n’en parler jamais.

Et pour l’opposition ?

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Divisée, incapable de faire front commun, elle a perdu beaucoup de plumes dans l’affaire. John Fru Ndi, qui a voulu faire cavalier seul, récolte 17,13 % des voix et ne l’emporte que dans sa province du Nord-Ouest, confirmant ainsi son statut de leader anglophone d’un parti avant tout anglophone. Ses scores honorables dans le Littoral, notamment à Douala et Nkongsamba, où il remporte 34 % et 38 % des voix, et dans une partie du Sud-Ouest et de l’Ouest (Bafoussam notamment) ne doivent pas cacher l’évidente perte de vitesse du Chairman, qui fit quasiment jeu égal avec Paul Biya en 1992. Pour lui aussi, mais sans doute bien avant 2011, le temps de passer la main à une autre génération est venu. Quant à Adamou Ndam Njoya, qui aurait dû être le candidat unique de l’opposition si Fru Ndi avait joué le jeu de la coalition, la désunion a fait son malheur : 4,7 % des suffrages. Loin derrière son rival, il fait de l’honnête figuration dans le Littoral et l’Ouest et n’est roi que dans son département du Noun. Même en tenant compte des irrégularités qu’il dénonce, aurait-il réalisé un score vraiment plus significatif ? Il est permis d’en douter. Enfin, les camerounologues noteront, pour l’anecdote, la percée de Garga Haman Hadji dans le Grand-Nord. À Garoua et à Maroua, cet ancien ministre de Biya arrive en tête des candidats de l’opposition, avec un score qui, il est vrai, n’atteint pas 10 % tant la machine RDPC fut ici comme ailleurs impitoyable.
Le Cameroun a donc voté, sans suspense et sans passion pour un résultat sans surprise. Faut-il s’en plaindre ? Pas forcément. Le scrutin du 11 octobre 2004 a en effet démontré que la « démocratie comme procédure » – pour reprendre l’expression du politologue Zaki Laïdi – y avait fait des progrès. Reste à espérer que la « démocratie comme culture » y prenne racine.

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