Konan Banny à l’index

Que reproche-t-on au gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ? Ses ambitions politiques supposées ? Sa campagne de démonétisation courte et coûteuse ? D’où vient la colère des chefs d’État ? Enquête.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

Que se passe-t-il donc d’inhabituel derrière les murs d’enceinte ultraprotégés et dans les bureaux aseptisés de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar ? « Il n’y a rien à signaler », jure, la main sur le coeur, le directeur de la communication, Venance Adamah Kangni. Pourtant, l’institut d’émission de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa), qui regroupe huit pays(*), n’a jamais connu autant de vagues que ces dernières semaines. Depuis le 15 septembre dernier, la BCEAO a entamé une opération d’envergure en vue de retirer de la circulation, avant le 31 décembre 2004, quelque 1 000 milliards de F CFA de la gamme 1992. Une entreprise que certains jugent « audacieuse, précipitée et dispendieuse », mais qui a d’ores et déjà permis, à la date du 7 octobre, de récupérer 513,7 milliards de F CFA, soit 50,3 % des signes monétaires concernés.
Par ailleurs, les rumeurs les plus folles circulent depuis plusieurs semaines au sujet du gouverneur, l’Ivoirien Charles Konan Banny, en poste depuis 1990. L’intéressé, qui fêtera ses 62 ans le 11 novembre prochain, envisage, dit-on, de briguer la magistrature suprême dans son pays. Dans cette perspective, il s’apprêterait à prendre une retraite anticipée, alors que, reconduit dans ses fonctions pour six ans le 17 juin 1999, son mandat actuel court du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2005. Donc au-delà de la date du prochain scrutin présidentiel ivoirien prévu en octobre 2005. Si, bien évidemment, les délais constitutionnels sont respectés.
Charles Konan Banny aurait également menacé de démissionner à cause des critiques à peine voilées émises, ces derniers temps, par plusieurs des huit chefs d’État de la zone Umoa contre sa « gestion solitaire » de la Banque centrale. « Ce sont des allégations dénuées de tout fondement, rétorque un haut responsable de la Bceao. Un départ anticipé du gouverneur n’est pas à l’ordre du jour… » Soit ! Mais comment interpréter la floraison soudaine des piques dans la presse à l’encontre d’une institution qui passait, il y a peu, pour un modèle de discrétion ? Comment expliquer les charges musclées contre son patron, sexagénaire rond et affable, généralement avare en mots ? « Il est, en tout cas, exclu que le gouverneur se serve de ses fonctions comme d’un tremplin pour se faire élire président de la Côte d’Ivoire, prévient un chef d’État. S’il nourrit des ambitions, il lui faudra tout de suite annoncer la couleur et rendre son tablier. » D’autres dirigeants de la zone, mais pas tous, sont du même avis. L’incompréhension est telle qu’il a fallu convoquer une session extraordinaire de l’Umoa, le 11 octobre à Niamey, pour s’expliquer sur l’ensemble du dossier. À l’abri des conseillers et autres experts habituels, loin des oreilles indiscrètes.
Cette conférence au sommet ressemblait en effet, selon la formule amusante de l’un des participants, à un « huis clos clos » réservé, à cause de l’importance des sujets abordés, aux seuls chefs d’État présents dans la capitale nigérienne. À savoir le Béninois Mathieu Kérékou, le Malien Amadou Toumani Touré (ATT), le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Nigérien Mamadou Tandja, hôte du sommet, aux personnalités (Premier ministre et ministres) représentant les quatre absents de marque (le Burkinabè Blaise Compaoré, l’Ivoirien Laurent Gbagbo, le Togolais Gnassingbé Eyadéma et le Bissauguinéen Henrique Rosa). Auxquels se sont joints le président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, l’organe de coopération économique de la zone, à ne pas confondre avec l’Umoa, sa structure politique), Soumaïla Cissé, le président de la Banque ouest-africaine de développement (Boad), Boni Yayi, et, bien entendu, le gouverneur de la BCEAO, qui, selon plusieurs témoins, faisait pâle figure.
Que reproche-t-on au juste à Charles Konan Banny qui vient de boucler ses quatorze années à la tête de l’institution ? D’avoir – on l’a dit – lancé une opération de démonétisation de manière précipitée et dans des délais courts (trois mois et demi). « Une telle entreprise, dont la complexité n’échappe à personne, exige une préparation minutieuse dans le temps et dans l’espace, a tout de go déclaré le président Tandja dans son discours d’ouverture. Il nous paraît judicieux d’intensifier la campagne de sensibilisation engagée tout en étalant les délais impartis sur au moins une année. » Certains dirigeants estiment à plus de 50 milliards de F CFA le coût de l’opération de retrait de la circulation des billets de la gamme 1992. « Une fortune qu’on aurait pu injecter dans la lutte contre la sécheresse ou la menace acridienne », regrette, mezza voce, un chef d’État.
Outre les ambitions politiques qu’on lui prête, il est également reproché au gouverneur d’avoir « mal géré » le dossier des casses dont ont été victimes les agences de la BCEAO de Bouaké (25 septembre 2003), de Man (26 octobre 2003), de Korhogo (7 août 2004), sans oublier le spectaculaire hold-up de l’agence nationale d’Abidjan, en août 2002. Si l’on se fie à un document officiel établi par l’un des États membres et dont Jeune Afrique/ l’intelligent a obtenu copie, ces différents braquages ont coûté la bagatelle de 62 milliards de F CFA aux 80 millions d’habitants de l’Umoa, un chiffre que la BCEAO, interrogée, se refuse à confirmer.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le gouverneur Banny est victime du succès de la maison qu’il dirige. En effet, en dépit de la crise en Côte d’Ivoire, le pays le mieux nanti de l’Union, et malgré les soubresauts politico-militaires en Guinée-Bissau, la BCEAO affiche des performances appréciables. À savoir, un taux de croissance de 3,4 %, contre 2,9 % en 2003. Elle dispose par ailleurs de 3 000 milliards de F CFA de réserves placées (pour 65 % en euros, le reste, notamment, en dollars et en yens) à 3 % à la Banque de France. « Cet argent est à notre disposition, nous pouvons donc l’utiliser à tout moment », explique le directeur de la communication de la BCEAO. Ces réserves représentent l’équivalent de sept mois d’importations de biens et de services dans la zone. « Comment comprendre qu’une Banque centrale immobilise autant de fonds à l’étranger, alors que nos États pourraient en profiter pour initier des programmes de développement ? », s’interroge l’un des acteurs principaux du huis clos de Niamey.
« La réforme institutionnelle, qui doit être prochainement validée par les instances de l’Union, devrait insister sur l’objectif assigné à la BCEAO », peut-on lire dans un document de travail préparé par le Sénégal, pays abritant le siège et suspecté par certains de vouloir récupérer le poste de gouverneur au profit de l’un de ses nationaux. « La définition de l’objectif de la Banque centrale peut difficilement faire l’impasse sur la croissance, poursuit le document. Les criquets et la pluie ont aujourd’hui plus d’impact sur l’inflation que la politique monétaire. […] La trésorerie des banques commerciales est passée de 760 milliards de F CFA en 2002 à 900 milliards en 2003, les dépôts des clients dans les banques commerciales ne cessent d’augmenter sans que les crédits à la clientèle suivent. La Banque centrale n’assiste plus les pays, même en matière de trésorerie, les banques ne peuvent continuer d’exclure les ménages (moins de 2 % de la population de l’Union dispose d’un compte bancaire), ainsi que les PME-PMI du bénéfice du crédit par des taux prohibitifs en continuant de financer les filiales des grands groupes étrangers autour de 5 %. La Banque centrale n’effectue plus depuis 2002 d’avances statutaires aux États. C’est une facilité en moins pour eux, mais aussi des ressources en moins pour la BCEAO. »
En guise de conclusion, le document, un inventaire à la Prévert, recommande à l’avenir, ni plus ni moins, un audit de la BCEAO, sa réorganisation et l’utilisation de ses ressources pour le développement. Réaction d’un proche collaborateur de Charles Konan Banny : « Il faut se féliciter pour une fois que nos chefs d’État consacrent un peu de leur précieux temps aux problèmes monétaires. Cela dit, il faut savoir qu’on ne finance pas des projets avec la planche à billets. L’émission monétaire doit être en harmonie avec l’évolution de l’activité économique. L’objectif premier et exclusif d’une Banque centrale, c’est de conjurer l’inflation des prix. »

* Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

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