[Tribune] Lomé par temps de coronavirus

L’écrivain togolais livre son regard sur l’irruption de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences dans son pays.

Une vue de Lomé, en 2014. Photo d’illustration. © Jacques TORREGANO pour Jeune Afrique

Une vue de Lomé, en 2014. Photo d’illustration. © Jacques TORREGANO pour Jeune Afrique

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  • Kangni Alem

    Kangni Alem est écrivain et dramaturge togolais, Grand prix littéraire d’Afrique Noire, il enseigne le théâtre et la littérature comparée à l’Université de Lomé.

Publié le 3 mai 2020 Lecture : 3 minutes.

Le 16 mars, le Togo annonçait officiellement la présence du Covid-19 sur son sol. Le lendemain, en parcourant les réseaux sociaux, je découvre que la véritable préoccupation des Togolais n’est pas la peur de cette nouvelle maladie, mais les stratégies à mettre en œuvre pour survivre. Tout le discours ambiant est axé sur la survie.

Les Églises ont appelé leurs ouailles à rester à demeure, mais à ne pas oublier de payer la dîme par transfert électronique. Qui est fou ? Le temple de Dieu a besoin d’entretien jusqu’aux prochaines retrouvailles !

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La Brasserie de Lomé a proposé à ses clients de se faire livrer des boissons à domicile, et les propositions commerciales aux hommes et aux femmes confinés passent désormais par les supports numériques. Il est évident que nous entrons dans une nouvelle histoire des relations sociales, qui va profondément bouleverser nos manières de vivre.

Paranoïa

Il y a un fait symptomatique quand on analyse les foyers de contamination au Togo. Deux grandes villes attirent l’attention, Lomé et Sokodé, deux villes dont l’ouverture aux étrangers et à l’activité commerciale est remarquable. La certitude saute alors aux yeux : notre relative autarcie nous sauve la mise.

La conséquence directe est une paranoïa qui ne cherche qu’un bouc émissaire pour s’exprimer. L’étranger est suspect, et l’étranger c’est tout le monde désormais, le gars qui revient de Niamey comme le frère qui a pris l’avion depuis Paris pour venir se confiner à Lomé. Tiens, d’ailleurs, pourquoi ces gens-là rentrent-ils au pays ?

Autrefois, on célébrait celui venu de France. Désormais, on le fuit, on suspecte vérolées toutes les babioles qui faisaient sa valeur. Même dans les villages reculés, la commerçante qui vient de Lomé pour se ravitailler est suspecte, ce qui complique les relations sociales à long terme.

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Reste une autre réalité : malgré cette paranoïa générale, il y a ceux qui sont certains que toute cette histoire de maladie qui rend la planète folle relève de la machination politique. Ainsi, quand le gouvernement décrète le couvre-feu de 20 heures à 6 heures, le citoyen lambda n’y voit pas une mesure destinée à réduire la fréquentation des lieux de loisirs nocturnes, non, il y perçoit un projet inavoué de réduire les libertés individuelles.

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« La pauvreté nous immunise »

Et les bavures de la force publique qui poursuit les retardataires le soir au lieu de traquer le virus résonnent à l’oreille du peuple comme un double désespoir : celui de la force armée désarmée devant un adversaire invisible, et qui préfère transformer en virus social le corps de l’individu tout aussi alarmé, qu’il bastonne avec rage.

La chronique de notre entrée en pandémie ressemble à celle de nos voisins. Nous avons tous perdu la boule, nous ne nous saluons plus, sinon par SMS pour espérer grappiller quelques sous à l’ami, au frère. Car le dénuement nous guette, au long des jours du confinement ou de l’autoconfinement. La faim et l’incivisme lié à la famine.

Jusque-là, nous étions nourris de rumeurs et de fantasmes : la chaleur, l’humidité du golfe de Guinée, nous rendraient invulnérables. Maintenant, malgré tout ce qui se dit, nous sommes rassurés que notre immunité est plus solide que celle du New-Yorkais ou de n’importe quel citoyen européen.

Nous n’avons pas habitué notre organisme à un excès de médicaments, alors, au plus profond de nous, nous savons que la pauvreté nous immunise, et que, malgré les temps durs que nous vivons, beaucoup d’entre nous survivront. C’est une leçon paradoxale, mais c’est une belle leçon de morale : la pauvreté est réellement la richesse des nations !

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