Empoignades à la pompe

Après quatre jours de grève pour protester contre la hausse du prix des carburants, les syndicats ont arrêté leur mouvement. Mais le contentieux reste entier.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le pétrole sera-t-il toujours source de troubles au Nigeria ? Le pays a été à nouveau secoué par une grève générale, organisée par le Nigeria Labour Congress (NLC), coalition de quarante-neuf syndicats professionnels, destinée à faire revenir le gouvernement sur sa décision d’augmenter de 25 % le prix de l’essence. Bien que la vie sur les marchés et les plates-formes de production pétrolière ait été peu touchée, entreprises, magasins, hôpitaux et écoles sont restés fermés entre le 11 et le 14 octobre, notamment à Abuja, la capitale, et dans la mégalopole du Sud, Lagos. Quelques manifestations ont été organisées. Chacun a semblé vouloir camper sur ses positions, et une véritable négociation tarde à s’engager.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999 et encore plus depuis le début de son second mandat en 2003, le président Olusegun Obasanjo ne cesse de ferrailler pour faire accepter à la population une nécessaire mise à niveau du prix du carburant. Même s’il est le sixième producteur mondial de pétrole (et le premier sur le continent), le Nigeria, qui ne dispose que de quatre raffineries, tournant d’ailleurs à la moitié de leurs capacités, est sous-équipé par rapport à son rang, au point qu’il doit importer l’essentiel des produits raffinés nécessaires à sa consommation intérieure. Pour maintenir des prix bas à la pompe, le gouvernement est obligé de débourser quelque 2 milliards de dollars de subvention par an.
La suppression de cette subvention est inscrite à l’encre rouge sur l’agenda du président, et ce pour plusieurs raisons. D’une part pour satisfaire les créanciers extérieurs, notamment le Club de Paris. Souvent sollicité pour annuler sa part de la dette du Nigeria, qui s’élève au total à près de 30 milliards de dollars, ce créancier conditionne son accord à une meilleure gestion des revenus du pétrole – quelque 27 milliards de dollars attendus en 2004, contre 21 milliards de dollars en 2003. Le Club considère l’or noir comme la clé de toutes les réformes économiques dont le pays a un urgent besoin.
D’autre part, cette essence trop bon marché alimente un marché noir florissant, tant à l’intérieur que dans les pays limitrophes. Les siphonnages de pipeline et les détournements de camions-citernes sont si fréquents que non seulement ils enrichissent les contrebandiers, mais ils parviennent même à faire varier les cours officiels. Tout au long de l’année, la demande reste très largement supérieure à l’offre. Enfin, si le carburant pas cher satisfait dans son principe le Nigérian moyen (il y voit à tort ou à raison une façon de jouir des dividendes de l’or noir), elle bénéficie surtout aux riches, qui ont pourtant les moyens de payer de faire le plein de leurs voitures individuelles, et pas aux pauvres – de loin les plus nombreux – qui utilisent des transports en commun vétustes et aux passages aléatoires. Mieux vaudrait mettre de l’argent dans les sociétés de transport public, estiment les conseillers économiques du président Obasanjo.
Il reste que l’augmentation de l’essence est, et restera, une mesure extrêmement impopulaire. D’où la toute-puissance du NLC, qui a prouvé à deux reprises, en février et juin 2003, qu’il est capable de transformer Lagos en ville morte jusqu’à obtenir gain de cause. Son leader, Adams Oshiomhole, arrêté le 9 octobre mais rapidement relâché, menace même de poursuivre son action par des arrêts de travail ponctuels, notamment dans les stations-service.
Un bras de fer s’est engagé entre le NLC et le pouvoir. Convaincu qu’il ne pourra imposer sa décision que par la fermeté, celui-ci tente parallèlement de limiter les droits syndicaux. Le Parlement a adopté dans l’urgence, en septembre 2004, un projet de loi qui vise à supprimer le droit de grève lorsqu’il veut s’exercer en réaction à une décision de politique gouvernementale. Pour l’instant, Oshiomhole n’en a pas tenu compte. Mais il n’est pas impossible qu’il révise son attitude, car les grévistes, désormais en contravention avec la loi, pourraient se retrouver sanctionnés dans leur travail pour avoir suivi le mot d’ordre du NLC. Nul ne peut être certain de l’issue de cette bataille mais Obasanjo, coutumier des avancées spectaculaires et des reculades tactiques, n’en sortira pas nécessairement perdant.

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