Double attentat antioccidental à Beyrouth

Publié le 19 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

En ce temps-là, le dimanche était aux yeux des 1 200 marines américains et des 2 000 parachutistes français présents dans la capitale libanaise une journée bénie. La seule de la semaine où ils étaient dispensés de la rituelle et matinale levée des couleurs. À cause d’un camion gris et d’une camionnette rouge, plus de 300 d’entre eux ne se réveilleront jamais. Le camion gris, bourré de plus d’une tonne d’explosif, parvient à pénétrer le quartier général du corps expéditionnaire américain, appelé pompeusement par les bidasses Beyrouth Hilton. La rafale de M16 qui touche le chauffeur n’empêche pas ce dernier d’actionner son engin de mort. Le bâtiment où dormaient plusieurs centaines de soldats américains s’effondre comme un château de cartes. Quelques minutes plus tard, la camionnette rouge explose à une centaine de mètres. Le Drakkar, un immeuble de huit étages, qui sert de poste de commandement aux parachutistes français, n’est plus qu’amas de ruines.
Ronald Reagan interrompt son week-end de golf dans l’État de Georgie et François Mitterrand dépêche immédiatement son ministre de la Défense, Charles Hernu. Pour les deux chefs d’État, le double attentat de Beyrouth est une vraie catastrophe. L’Amérique n’avait pas vécu de telles scènes d’horreur depuis la guerre du Vietnam. Quant à l’armée française, elle n’a pas eu à déplorer autant de pertes (quelque 70 morts) depuis plus de vingt-deux ans, c’est-à-dire depuis la fin de la guerre d’Algérie. Paris et Washington se posent les mêmes questions : Qui a fait cela ? Comment réagir ?

Ronald Reagan est en pleine année électorale, et la mort violente de 230 boys n’est pas le meilleur des arguments électoraux. Autre complication pour l’ancien comédien : Grenade. L’administration américaine avait décidé, plusieurs semaines avant le double attentat de Beyrouth, de mettre au pas l’Amérique centrale, et cela passe par une intervention militaire à Grenade. Quant à François Mitterrand, cette affaire l’embarrasse au plus haut point. Ses partenaires communistes au sein du gouvernement n’ont jamais caché leur hostilité à une présence militaire française au Liban en dehors du parapluie des Nations unies. Car les victimes tombées ce jour-là font partie d’une force internationale de maintien de la paix ayant répondu, en septembre 1982, à la demande du gouvernement libanais, dirigé alors par Chafiq al-Wazzan. Quatre pays la composent : États-Unis (1 200 marines) et Royaume-Uni (100 soldats) sous commandement américain, d’une part, France (2 000 parachutistes et marsouins) et Italie (1 200 bersaglieri) sous commandement français, d’autre part.
Si le mobile – décourager toute intervention occidentale dans ce volcan qu’est le Liban – ne fait pas l’ombre d’un doute, l’identité exacte des commanditaires du double attentat balaie un large spectre allant de la Syrie de Hafez al-Assad à l’Iran de l’ayatollah Khomeiny en passant par l’Union soviétique de Youri Andropov.

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Pour les Syriens, l’accusation ne tient pas la route : « En quoi cela peut-il servir nos intérêts ? » se défendent-ils. Les Soviétiques, eux, ont d’autres chats à fouetter en Afghanistan avec les moudjahidine, ancêtres d’al-Qaïda, mais à l’époque « combattants de la liberté », dixit Reagan. Le suspect numéro un est donc la République islamique d’Iran. Il est vrai que la France venait de conclure une vente de Super Étendard à l’Irak de Saddam Hussein, en guerre contre Téhéran. Quant au Grand Satan américain, il faisait l’objet de prêches enflammés dans les mosquées iraniennes. Mais, à l’époque, dans la nébuleuse islamiste, le Hezbollah n’est pas encore connu, du moins en dehors du titre générique de Djihad islamique.
Plus de vingt ans après le double attentat de Beyrouth, le mode opératoire, un camion piégé pénétrant l’enceinte de l’objectif avant d’exploser, a fait école, de Mombasa au Kenya, en décembre 2002, à Taba dans le Sinaï égyptien, en octobre 2004.

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