Carton rouge pour Farah Addo

Hier condamné pour diffamation, aujourd’hui accusé de détournement de fonds, le patron des arbitres africains est dans le collimateur du président de la Fédération internationale de football, qui demande sa tête. Verdict le 23 octobre.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Le 14 septembre, sur les ondes de la BBC, Joseph « Sepp » Blatter, le président de la Fédération internationale de football association (Fifa), n’était pas avare de propos menaçants à l’encontre du comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF) : « Ils n’ont aucune alternative. La décision est exécutoire, et il n’y a pas eu d’appel. Ils doivent régler le cas au Caire, à l’occasion de leur réunion du 23 octobre. »
Le « cas », c’est celui de l’ex-numéro deux de la CAF, le Somalien Farah Addo. Le 20 juillet, la commission de discipline de la Fifa l’a suspendu pour dix ans de toute activité au sein d’une association nationale, d’une confédération et, bien entendu, de la Fifa. Addo a présidé de 1978 à 2003 la Fédération somalienne de football (SFF) et régné, d’avril 1988 à juin 2004, sur la commission des arbitres de la CAF.
Arbitre international de niveau modeste dans les années 1970, Farah Wehiliye Addo, propriétaire d’hôtels à Mogadiscio, a débuté sa carrière de dirigeant sous le règne de l’ancien dictateur Siyad Barré. En 1978, il s’empare de la SFF avant d’accaparer, quelques années plus tard, la présidence du Comité olympique somalien (SOC) avec la bénédiction de Barré, qui lui confère le titre de « Sportif émérite du socialisme scientifique ». Notre sifflet retraité rêve d’entrer à la CAF. Il fait la cour à son président, Ydnekatchew Tessema, et finit par décrocher, en mars 1980, un strapontin à la commission des arbitres de la Confédération.
En mars 1988, l’assemblée générale de la CAF élit à Casablanca le successeur de Tessema, décédé en août 1987. Farah Addo choisit le camp d’Issa Hayatou. Le Camerounais l’emporte et, dans la foulée, Addo accède au comité exécutif. Il récupère ainsi la présidence de la commission des arbitres.
Le 26 janvier 1991, le président somalien Siyad Barré est renversé. Addo s’installe avec sa famille au Caire. Il ne quitte plus le siège de la CAF, d’où il va désormais diriger la SFF et le SOC. La CAF lui offre la logistique nécessaire et il s’accommode de sa situation d’exilé. La charge de président de la commission des arbitres confère, au fil des ans, un indicible pouvoir au Somalien. Il joue à fond la carte du clientélisme et des petites faveurs aux « amis ». Membre depuis octobre 1990 de la commission des arbitres de la Fifa, Addo se prend pour l’unique gardien des règles du jeu sur le continent, d’autant qu’il accède, en janvier 2000, au poste de premier vice-président de la CAF. L’activisme effréné et les rodomontades de celui que l’on surnomme désormais « Bulldozer » vont toutefois précipiter sa chute.
En février 2002, Farah Addo apprend qu’Issa Hayatou va briguer, face à Joseph Blatter, la présidence de la Fifa. Il réalise que si le Camerounais est élu, lui-même accédera à la présidence de la CAF pour un intérim de deux ans, et sera, à partir de 2004, en bonne position pour un mandat de quatre ans. Il décide donc de forcer le destin et se lance à l’assaut de la forteresse Blatter. Le 28 février, il fonce et confie au journaliste anglais Andrew Jennings qu’« en juin 1998, par l’entremise de l’ambassadeur de Somalie, un émirat du Golfe lui aurait proposé 100 000 dollars pour modifier son vote, alors que les 51 fédérations africaines avaient décidé d’accorder leurs voix au Suédois Lennart Johansson, le seul rival de Blatter ». Il ajoute avoir « vu de [ses] yeux » des délégués africains « sur le point de recevoir de l’argent » à l’hôtel Méridien à Paris, et estime que dix-huit d’entre eux ont ainsi voté en faveur de Blatter. L’argent aurait été fourni, la veille du scrutin, par le Qatari Mohammed Bin Hammam, membre du comité exécutif de la Fifa. Blatter s’indigne, parle d’une « campagne de déstabilisation et de diffamation », diligente une « enquête disciplinaire » et engage une procédure judiciaire. Toujours en pleine campagne, Addo tente d’imposer à ses mandants de la Confederation for East and Central Africa Football Association (Cecafa), qu’il préside depuis novembre 2000, de soutenir Hayatou.
Le 29 avril 2002, le tribunal de Meilen (Suisse), juge que les « accusations de Farah Addo qui restent à prouver, portent préjudice à la personne de Joseph Blatter ». Il ordonne au vice-président de la CAF de ne plus proférer d’accusations de corruption à l’encontre du président de la Fifa. Le 29 mai, à Séoul, le congrès de la Fifa plébiscite Blatter par 139 voix contre 56.
Pour Farah Addo, les ennuis commencent. Dans un premier temps, la Fifa commande un rapport d’audit à la multinationale fiduciaire londonienne Klynveld Peat Marwick Goerdeler (KPMG) sur l’utilisation des fonds que, dans le cadre d’un programme d’assistance financière à la SFF, elle a directement versés à son président. Le 15 octobre, celui-ci est exclu de la commission des arbitres de la Fifa. Le 20 décembre, la commission de discipline le déclare coupable de « nuisance à la réputation de la Fifa » et, enfin, le 20 janvier 2003, elle le suspend de toute activité au sein des instances de la Fifa pour une durée de deux ans.
Le 21 février, la commission des finances de la Fifa suspend jusqu’à nouvel ordre l’aide financière à la SFF. Selon un rapport de KPMG, la fédération somalienne n’avait pas été en mesure de justifier l’utilisation de 84 % des fonds reçus pour la période 1999-2001.
Par ailleurs, le 12 mars, le tribunal de Meilen confirme son arrêt du 29 avril 2002 et condamne Addo à payer 10 000 francs suisses (6 454 euros) de dommages et intérêts à Joseph Blatter et 9 648 euros de frais de justice. Le 30 juin, le même tribunal conclut que des réparations identiques doivent être versées au Qatari Mohammed Bin Hammam qui, lui, est devenu, en octobre 2002, président de la Confédération asiatique de football (AFC).
Bien que chassé de la Fifa, Farah Addo n’est toutefois pas lâché par la CAF, dont il continue à diriger la commission des arbitres. Interrogé en décembre dernier sur le cas Addo, Sepp Blatter répondait : « Ce monsieur a eu des comportements qui ont eu des suites devant les tribunaux. Il a été condamné au civil et au pénal, et pas seulement en Suisse. S’il veut revenir un jour dans le foot, il devra présenter des excuses publiques et reconnaître qu’il a commis des erreurs. » Le 19 janvier 2004 à Tunis, à l’occasion de l’assemblée générale de la CAF, Farah Addo n’hésite pas à donner l’accolade au président de la Fifa ! Un geste qui n’empêchera pas la vengeance de Sepp Blatter de suivre son cours : le 24 avril, la Fifa charge KPMG de poursuivre ses investigations sur l’utilisation des fonds qu’elle a versés à la SSF.
Le 8 juillet, le comité exécutif de la CAF, réuni au Caire, a coopté le Somalien à la vice-présidence de la commission d’arbitrage et au sein de la commission des compétitions interclubs, le maintenant ainsi, pour l’essentiel, dans ses prérogatives et ses avantages matériels.
Le 22 juillet, la commission de discipline de la Fifa examine le nouveau rapport de KPMG et interroge par téléphone trois dirigeants de la SFF. Le verdict tombe : dix ans de suspension pour Farah Addo, interdiction d’exercer à tous les niveaux toute activité dans le football, amende de 50 000 francs suisses (32 265 euros) et encore 50 000 francs suisses de frais de procédure. Addo annonce qu’il fait appel… puis renonce. Le 10 août, il se rend à Athènes. La commission d’éthique du Comité olympique international (CIO), saisie par la Fifa, lui retire son accréditation et le bannit des Jeux.
Depuis, il ne reste à « Bulldozer » que son strapontin à la CAF. Parviendra-t-il à le conserver ? Réponse le 23 octobre au Caire.

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