Afghanistan : les leçons d’un scrutin

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

Le président George W. Bush aura certainement poussé un grand soupir de soulagement après l’élection présidentielle afghane du 9 octobre – de même que les dirigeants du Pakistan et de l’Arabie saoudite, deux pays profondément atteints par le « mal afghan ». Cette élection s’est déroulée dans de meilleures conditions, et plus paisiblement, qu’on ne l’avait espéré, et même qu’on ne s’y attendait.
Ses conséquences seront aussi importantes pour les voisins de l’Afghanistan que pour le pays lui-même. Un Afghanistan stable soulagera ses voisins d’un fardeau qui, ces dernières années, était devenu presque insupportable.
En outre, si l’un des pays les plus conservateurs, les plus pauvres et les plus ravagés par la guerre de la planète peut organiser des élections, d’autres, plus favorisés, pourraient, de leur côté, être encouragés à ouvrir leur système politique, à adopter des institutions crédibles et à faire un essai de démocratie.
Les talibans et leurs alliés d’al-Qaïda n’avaient pas caché leurs intentions de perturber les élections afghanes, et même d’empêcher qu’elles n’aient lieu. Ils en ont été pour leurs frais. Des millions d’électeurs ont voté dans le calme, non seulement en Afghanistan même, mais aussi dans les camps de réfugiés surpeuplés de l’autre côté de la frontière, au Pakistan.

Les Afghans qui vivent au Pakistan ont participé au vote de réfugiés le plus important de l’Histoire, sans incidents majeurs. C’est déjà un événement en soi, car les camps de réfugiés et leurs myriades de madrasas étaient considérés comme un foyer de l’influence talibane. Quarante-neuf pour cent des 740 000 électeurs inscrits ont pris part au vote, et les urnes ont ensuite été envoyées à Kaboul par avions spéciaux. C’était la première fois pour la grande majorité des réfugiés qu’ils votaient dans une élection démocratique.
Les élections afghanes doivent donc être interprétées comme un grave revers pour les talibans, réduits à la défensive. On ne peut plus voir en eux un pouvoir en devenir. Leur ambition de chasser les forces des États-Unis et de l’Otan, et de reprendre Kaboul semble aujourd’hui irréaliste.
Même si les talibans continuent à tuer des travailleurs sociaux et à monter des coups contre une armée afghane mal entraînée et ses alliés étrangers, le symbole même que représentent ces élections déconsidère leur cause. Quoi qu’il arrive maintenant, un pas semble avoir été franchi en Afghanistan.

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Tout, cependant, ne va pas pour le mieux. Les seigneurs de guerre et les barons de la drogue continuent à défier le gouvernement central. La production et les exportations d’opium se sont envolées, déséquilibrant complètement une économie fragile. Dans le Sud et le Sud-Est, les talibans continuent à représenter un grave danger. Mais le pays a passé avec succès le test des élections.
Beaucoup dépendra de la durée du séjour des Occidentaux, et les Américains n’ont manifestement pas l’intention de faire de vieux os dans le pays. Tant que les troupes occidentales resteront en Afghanistan et que l’aide continuera d’arriver, le gouvernement du président Hamid Karzaï sera raisonnablement à l’abri. Mais si les Occidentaux profitent de l’élection présidentielle pour regagner leurs pénates, les talibans repartiront forcément à l’attaque.
Aussitôt après le vote, quatorze des adversaires de Karzaï ont prétendu que l’élection n’était pas valable et ont réclamé un nouveau scrutin. Mais ils se sont par la suite calmés. Le principal opposant à Karzaï, Younous Qanouni, le candidat de l’Alliance du Nord, a déclaré qu’il accepterait les résultats du scrutin après une enquête indépendante sur les accusations de fraude. De fait, les observateurs internationaux ont déjà déclaré que les élections étaient suffisamment régulières, sinon absolument parfaites.
Le Pakistan et l’Arabie saoudite entretiennent depuis longtemps des liens étroits. En période de crise, des troupes pakistanaises ont servi dans le royaume, et renforcé sa défense. Mais la visite du prince Khaled, avec l’accent qui a été mis sur l’entraînement militaire et la production en commun de véhicules blindés, de missiles et de tanks, a resserré leurs relations et donné à penser qu’un pacte de défense régional était peut-être en préparation.
Bien qu’il n’y ait aucun rapport entre les deux événements, le Pakistan a procédé, pendant la visite du prince, aux essais d’un missile Ghauri d’une portée de 1 500 kilomètres, capable de transporter une charge nucléaire. Le missile Ghauri est fabriqué par les Khan Research Laboratories, la principale usine d’armement pakistanaise. Elle doit son nom à Abdul Qadeer Khan, le savant qui a été l’âme du programme nucléaire pakistanais et qui est tombé de haut après avoir été accusé de vendre de la technologie nucléaire à l’Iran, à la Libye et à la Corée du Nord.
Selon une étude rendue publique la semaine dernière par un organisme de surveillance nucléaire basé à Washington, l’Institute for Science and International Security, le Pakistan disposerait de 50 à 90 armes nucléaires, et l’Inde de 55 à 115. Le Pakistan et l’Arabie saoudite sont aujourd’hui bien soulagés de ne plus fournir à l’Afghanistan l’aide qu’ils lui ont apportée dans le passé. L’un et l’autre ont soutenu la résistance afghane contre l’occupation soviétique. Le Pakistan s’est trouvé aux premières loges du commerce des armes et de la drogue et du passage des réfugiés. Il ne s’en est pas encore remis.

La contribution de l’Arabie saoudite à la lutte antisoviétique en Afghanistan a été surtout financière, et à la hauteur des efforts américains. Mais alors que les États-Unis se sont lavé les mains de l’Afghanistan après le retrait soviétique – une irresponsabilité fatale -, l’Arabie saoudite a dû faire face à une masse de combattants perdus, scandalisés par l’alliance du royaume avec les États-Unis. Lorsque Saddam Hussein a envahi le Koweït et menacé de marcher sur Riyad, les factions afghanes ont soutenu le dictateur irakien contre les Saoudiens.
Les origines de la rébellion d’Oussama Ben Laden contre les autorités saoudiennes peuvent être rattachées à la crise du Koweït de 1990-1991, qui a suivi de près le retrait soviétique d’Afghanistan.
Le problème pour le Pakistan et pour l’Arabie saoudite est que la résistance afghane n’était pas une résistance nationale. Ce n’était pas un mouvement unifié et soumis à une discipline rigoureuse comme la résistance vietnamienne. Elle se divisait en affiliations tribales et sectaires. Quand les Russes sont partis, la coalition a éclaté et les groupes de résistance se sont battus les uns contre les autres. Kaboul a subi plus de destructions à cette époque que pendant la guerre contre les Soviétiques.

Le Pakistan s’est trouvé entraîné dans le conflit. Il a soutenu les talibans, ce qui était sans aucun doute une erreur politique. Mais c’était une erreur probablement inévitable, étant donné la complicité du Pakistan avec les Pachtounes d’Afghanistan, la proximité géographique avec les régions contrôlées par les talibans dans le sud de l’Afghanistan et les millions de réfugiés qui se retrouvaient sur son sol. Les talibans ont encore un pied au Pakistan.
Le président pakistanais Pervez Musharraf est un modéré. Comme les autorités saoudiennes, il fait de l’équilibrisme entre de fortes pressions américaines d’un côté et les extrémistes islamistes de l’autre. Pour se renforcer, il a encouragé, la semaine dernière, l’examen au Parlement d’un projet de loi qui lui permettrait de rester président et commandant en chef de l’armée après le 31 décembre. L’opposition pousse de hauts cris et affirme que Musharraf a trahi sa promesse de renoncer à son uniforme.
Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, Musharraf a décidé de participer à la guerre des États-Unis contre le terrorisme. Il ne pouvait faire autrement. Le Pakistan était isolé et avait besoin de l’aide américaine. Mais ce n’était pas une politique qui pouvait lui valoir une grande popularité dans son pays, surtout quand les Pachtounes afghans étaient bombardés par les Américains. Il doit maintenant se préparer à partager le pouvoir et à encourager le débat au Parlement sur des sujets d’importance nationale. La leçon de l’élection afghane est que pour qu’un dirigeant puisse résister aux pressions extérieures, il doit conforter sa légitimité chez lui.

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