[Tribune] Il faut réorienter le rôle des banques centrales africaines vers le développement
Pour financer l’après-pandémie, il va falloir revoir en profondeur le rôle des banques centrales du continent. Et étendre la portée de leurs missions.
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Cedric Achille Mbeng Mezui
Expert des systèmes financiers et fonctionnaire international
Publié le 5 mai 2020 Lecture : 3 minutes.
Faut-il, pour financer le jour d’après, recourir à la dette internationale ou aux marchés africains de capitaux ? Répondre à cette question, c’est interroger le rôle des banques centrales du continent. En raison de la crise liée à la pandémie de Covid-19, le moratoire sur le service de la dette est indispensable pour donner de l’oxygène aux finances publiques des pays africains dans un contexte actuel d’ « AVC économique ». Mais il est encore plus nécessaire d’activer des programmes régionaux de transformation endogène reposant sur l’agriculture, les industries et le développement des systèmes financiers locaux.
Pendant qu’il est discuté de la dette externe du continent – environ 365 milliards de dollars (dont plus de 100 milliards via les eurobonds) –, il faut noter que les ressources levées auprès des systèmes financiers nationaux sont bien supérieures. Deux chiffres sont parlants. D’une part, l’encours de la dette levée sur les marchés obligataires africains par les États dépasse actuellement les 400 milliards de dollars. D’autre part, c’est une moyenne de 200 milliards de dollars qui sont ainsi mobilisés chaque année. Cinq pays – Égypte, Afrique du Sud, Maroc, Nigeria et Kenya – représentent à eux seuls environ 80 % de cet encours. Le potentiel est donc immense.
En d’autres termes, il y a urgence à approfondir les systèmes financiers locaux pour garantir un financement stable et cohérent des économies. Et il faudrait encourager davantage la mobilisation de l’épargne régionale et l’intégration financière.
Mission rigide
Cela exige que les banques centrales africaines jouent un rôle plus actif en faveur du développement. La restriction de leur mandat à la mission rigide de la maîtrise de l’inflation est une entrave à cet objectif. Dans les pays qui ont connu une industrialisation réussie, les banques centrales ont joué un rôle essentiel en stimulant l’allocation des investissements vers des activités industrielles stratégiques et innovantes qui favorisent la productivité, la création d’emplois, la pénétration des marchés d’exportation et la croissance économique.
Dans la plupart des cas, les interventions de ces banques centrales ont été accompagnées par le contrôle des mouvements de capitaux et du taux de change. C’est ainsi que les pays de l’OCDE et presque tous les pays émergents se sont développés.
De véritables acteurs du développement
Les pays africains devraient tirer des leçons de ces expériences. La crise actuelle devrait provoquer une inflexion dans le mandat des banques centrales africaines pour qu’elles deviennent de véritables acteurs du développement.
De nombreux pays africains souffrent d’un déficit chronique d’investissements dans les infrastructures, d’une faible industrialisation, du sous-financement de l’agriculture malgré la possession de 60 % des terres arables disponibles dans le monde, de taux de chômage « abyssaux » – surtout chez les jeunes –, du manque d’épargne longue et de systèmes financiers peu efficaces. Dans un tel contexte, les banques centrales africaines ne peuvent s’offrir le luxe d’avoir pour seule mission la lutte contre l’inflation – d’ailleurs souvent importée.
Une grande vulnérabilité
Enfin, un effet de la crise actuelle est l’arrêt des chaînes internationales d’approvisionnement qui exposent les États africains à une grande vulnérabilité. Il y a donc urgence, également, à rapprocher les chaînes d’approvisionnement des lieux de consommation, à développer des chaînes locales. Pour ce faire, il faut oeuvre en faveur de l’autosuffisance alimentaire en favorisant la production locale et régionale. C’est l’articulation de politiques régionales endogènes et l’essor de champions régionaux dans les industries de biens et services qui devraient soutenir l’essor économique de l’Afrique. Avec, une fois encore, le soutien entier des banques centrales.
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