Un passé aigre-doux

Maryse Condé brosse avec délicatesse le portrait en creux d’une Caribéenne émouvante : sa grand-mère maternelle.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Dès l’exergue, la romancière guadeloupéenne Maryse Condé donne le ton de son dernier livre, Victoire, les saveurs et les mots : « Il devient indifférent que je me souvienne ou que j’invente, que j’emprunte ou que j’imagine. » Cette phrase extraite de l’uvre de Bernard Pingaud, écrivain français injustement méconnu, grand commis de l’État et signataire, en son temps, de l’Appel des 121, illustre magnifiquement ce récit, mélange d’enquête, de fiction et de reconstitution sociale, dans lequel l’auteure entraîne son lecteur subjugué.
Sous la plume tendre de Maryse Condé, Victoire prend vie. Un lien filial, presque charnel, se dessine et unit, comme un pont jeté au-dessus des siècles, la petite-fille écrivain à la grand-mère cuisinière qu’elle n’a jamais connue. Celle-ci, née dans les années 1870 à Marie-Galante, îlot plat de l’archipel des Caraïbes, était le fruit d’une brève rencontre entre un soldat blanc de passage et l’une des filles de la famille Quidal, des « nouveaux citoyens », comme on appelait encore les descendants des esclaves, une vingtaine d’années après l’abolition. Servante analphabète, ballottée par la vie et par un destin souvent contrarié, Victoire trouve dans la cuisine un moyen merveilleux pour exprimer ce qu’elle est incapable de mettre en mots, elle qui ne parle que le kreyol et n’aime que la musique. Marieuse de saveurs, ingénieuse créatrice de recettes sans cesse renouvelées dont ne subsistent, dans les archives de la famille, que des noms tracés à l’encre pâlie sur des menus souvenirs, Victoire exprime ainsi ses joies et ses amours cachées, ses amitiés indéfectibles et sa résistance au malheur.
Dans une langue mâtinée de créole, dont le profane regrettera de n’avoir pas toujours la traduction, Maryse Condé nous livre un grand moment d’émotion, évoque une vie qui tourne court et qu’elle dessine par touches colorées, ressuscitant ainsi une époque bouillonnante à jamais révolue. Elle croque à grands traits, parfois acides et acérés mais jamais cyniques, le portrait de sa propre mère, Jeanne, tout aussi incapable de faire partager ses sentiments que ne l’avait été Victoire, et ce malgré des études brillantes et une carrière irréprochable d’enseignante. Les mots de Condé font goûter la saveur incomparable de ce passé qui, par le poids de la souffrance, appartient à l’histoire de tous les descendants caraïbes des Africains.

Victoire, les saveurs et les mots, de Maryse Condé, éditions Mercure de France, 254 pp., 16,50 euros.

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