Un air de déjà-vu

Guinée, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Nigeria…

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Le Probo Koala est l’arbre qui cache la forêt, le dernier scandale en date qui fait remonter à la surface une série d’autres, similaires, consignés dans les archives des années 1980. Ainsi de ce navire battant pavillon maltais parti du port de Carrare (Italie) les cales pleines d’insecticides périmés, de vernis, de peinture, de cyanure, de dioxine, qui accoste au Venezuela après avoir été refoulé de Djibouti De cet autre affrété par une entreprise suisse qui doit déverser ses ordures sur un terrain vague de 400 hectares en Guinée-Bissau. De cet autre encore, lourd de 2 millions de tonnes de déchets occidentaux qui doit vider ses soutes dans les gorges de Diosso, à une vingtaine de kilomètres au nord de Pointe-Noire. Les odyssées des pollueurs sont nombreuses, qui prennent le continent pour une décharge, avec des complicités locales, parfois mal informées de la nature mortifère des déchets, mais surtout vénales.
Petit aperçu. Kassa, février 1987 : sur cette île à quelques milles de Conakry, des manutentionnaires déchargent les cales du Bark, un vieux navire marchand qui arrive de Philadelphie (États-Unis), affrété par Bulkhandling, une société norvégienne. Quinze jours durant, les ouvriers vident les soutes et déversent la cargaison – officiellement, 14 500 tonnes de « matières premières pour fabriquer des briques » – dans une fosse. Rapidement, les palmiers et le sable fin exhalent une odeur pestilentielle. La végétation dépérit. Les habitants se plaignent. Les médias nationaux s’emparent de l’affaire, la vérité éclate : les fameuses « matières premières » sont en réalité des déchets toxiques entreposés dans les cales du bateau depuis près d’un an et dangereux pour la santé et l’environnement. Résultat : le limogeage de quelques officiels guinéens et le retour de la « marchandise » à son envoyeur.
Le scandale de Kassa n’est pas le premier. En 1975 déjà, une firme texane s’est débarrassée en Égypte d’insecticides périmés, qui tuent plusieurs paysans. Cinq ans plus tard, une société de Philadelphie s’entend avec les autorités de Freetown pour déverser ses déchets en Sierra Leone moyennant 25 millions de dollars. Sous la pression conjointe de la Maison Blanche et de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), les ordures américaines restent au bercail.
Avant la signature, en 1989, de la Convention de Bâle (voir p. 62), les pollueurs occidentaux profitent à plein régime d’un système nauséabond : « Dans les années 1980, les conditions de stockage des déchets toxiques en Europe et aux États-Unis sont devenues plus sévères, explique Jacky Bonnemains, président de Robin des Bois, association pour la protection de l’homme et de l’environnement. Pour s’affranchir de coûts de stockage de plus en plus élevés, les courtiers de déchets ont trouvé des solutions dans les pays du Sud », poursuit-il. Vendre chaque année entre 1 million et 5 millions de tonnes d’ordures toxiques à un État endetté, fût-ce au prix moyen de 12,5 millions de dollars par an, est toujours moins cher que de conserver sa pourriture au pays.
Dans la majorité des cas connus, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg, le rejet des ordures du Nord vers le Sud se heurte à un obstacle : l’opinion publique. Ainsi de l’odyssée du Karin B. En septembre 1988, le navire battant pavillon ouest-allemand accoste à Koko, au Nigeria. Il vient y récupérer une partie des 4 000 tonnes de déchets toxiques que cinq navires ont déversées entre août 1987 et mai 1988 dans le petit port nigérian. Sous la pression de la rue et des autorités d’Abuja, le pollueur a été sommé de rapatrier ses détritus. En Europe même, on a conspué les acteurs de ce commerce Nord-Sud.
Pendant que les scandales s’enchaînent, en cette fin des années 1980, les responsables du continent envisagent plusieurs solutions. Notamment, la création d’un observatoire africain pour les déchets toxiques. À l’époque, l’idée est applaudie. Aujourd’hui pourtant, 400 000 ordinateurs usagés – dont la plupart sont apparentés à des « déchets toxiques » en raison de leur teneur en plomb et en mercure – arrivent chaque mois au Nigeria. « Il n’y a pas de réseau dédié à la surveillance des mouvements de déchets dans les ports », commente Jacky Bonnemains.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires