Tony Blair

Le Premier ministre britannique, très contesté pour son soutien sans faille à Bush, vient d’annoncer son départ d’ici à l’été 2007.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Tony Blair a sûrement rêvé d’une autre sortie. Celui qui était devenu, à l’âge de 43 ans, en mai 1997, le plus jeune Premier ministre britannique depuis lord Liverpool en 1812, et qui avait réussi l’an passé l’exploit – inédit – de conduire son parti à une troisième victoire d’affilée aux législatives, a finalement succombé à une fronde orchestrée par Gordon Brown, l’ambitieux chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances), et a été contraint d’annoncer, le 7 septembre, qu’il quitterait son poste avant terme, d’ici à un an. La messe est dite pour ce chrétien fervent, inventeur de la « troisième voie », insulaire mélange de libéralisme et de sociale-démocratie. Usé, plombé par son impopularité, contesté à l’intérieur comme à l’extérieur du Labour pour son alignement inconditionnel sur la politique étrangère de George Bush, le locataire du 10 Downing Street avait fini par être considéré comme un boulet pour son propre camp. La proximité du congrès du Parti travailliste – du 24 au 28 septembre prochain – et celle des élections communales du printemps 2007 ont incité ses détracteurs à passer à l’offensive avant que les dégâts, en termes d’image, hypothèquent définitivement les chances de victoire du Labour face aux conservateurs du fringant David Cameron, 36 ans, la nouvelle star de la politique britannique.
Le 5 septembre, dix-sept députés travaillistes signent une lettre appelant Blair à démissionner. Un geste de défiance sans précédent. Le lendemain, Tom Watson, le ministre délégué à la Défense, et six hauts fonctionnaires portent le coup de grâce en annonçant leur départ et exigent du Premier ministre qu’il rende son tablier, estimant qu’il n’est « ni dans l’intérêt du parti ni dans celui du pays que Blair demeure plus longtemps à son poste ».
Le chef du gouvernement ne tient plus ses troupes, son leadership s’est effrité : il doit partir. Ce sera chose faite avant l’été prochain, promet-il. Mais quand ? Sauf rebondissement, un départ avant Noël semble exclu. Blair souhaiterait évidemment rester le plus longtemps possible, jusqu’à l’été, histoire de souffler ses dix bougies à Downing Street, en mai 2007, et de faire dignement ses adieux sur la scène internationale en assistant à un dernier sommet du G8 (le prochain est prévu du 6 au 8 juin 2007 en Allemagne). Gordon Brown ne l’entend pas de cette oreille : il veut lui succéder dès le mois d’avril. Deux raisons à cela : il compte descendre dans l’arène électorale et conduire son camp aux scrutins régionaux du pays de Galles et de son Écosse natale, prévus en mai. Et voudrait donner un retentissement médiatique et politique maximal à son arrivée aux affaires, en faisant voter des textes par la Chambre des communes avant les vacances parlementaires.
Une autre raison, moins avouable, explique l’impatience du très renfrogné grand argentier : même s’il est favori, Brown n’est pas assuré de succéder à son « ami de vingt ans ». Il redoute que Blair ne mette à profit son temps restant pour pousser en avant des rivaux potentiels, comme John Reid, le ministre de l’Intérieur, ou Alan Johnson, en charge de l’Éducation au sein du gouvernement. Respecté – il passe, à juste titre, pour l’inspirateur de la politique économique de la Grande-Bretagne depuis neuf ans -, Brown manque cruellement de charisme. Peu avenant (son visage ne s’éclaire que lorsqu’il parle de ses deux jeunes enfants), ce taciturne fils d’un pasteur presbytérien a longtemps souffert de la comparaison avec le solaire « TB ».
Bon orateur, électrique, brillant, Blair a, dans sa jeunesse, chanté du rock et tâté du théâtre avant de se concentrer sur ses études et de se lancer dans le militantisme. Son style, très travaillé, doit tout aux spins doctors (« conseillers en communication »). Cornaqué par Alastair Campbell, le plus célèbre des gourous de la communication politique, Blair s’est métamorphosé en professionnel de l’image. N’hésitant pas à se mettre en scène et à mettre en scène le couple qu’il forme avec sa femme Cherie, le sourire ultrabrite toujours accroché aux lèvres et le teint toujours hâlé, ce grand consommateur de produits cosmétiques a donné un sacré coup de jeune à la politique britannique. Voilà pour la forme. Mais Tony Blair, même s’il voudrait l’oublier, sait aussi ce qu’il doit à Gordon Brown. Brown et Blair, c’est le mariage de la carpe et du lapin. Les deux hommes se sont rencontrés il y a plus d’un quart de siècle. D’entrée, la complémentarité fonctionne à merveille. Habile tacticien, surdoué en économie, l’austère écossais est la tête pensante du duo. Les compères pensent avoir trouvé la formule magique pour ramener le Labour aux affaires, et tourner enfin la page des années Thatcher. Il faut « démarxiser » le parti, inventer un « nouveau » Labour, et couper le cordon ombilical historique avec les syndicats, les Trade Unions.
Ce patient travail de recentrage politique et idéologique paie. En 1997, les travaillistes remportent la majorité absolue aux Communes et retrouvent un pouvoir qui les fuyait depuis dix-huit ans. Conformément à un pacte scellé trente-six mois plus tôt au Granita, un restaurant londonien, Blair accède à la primature, et Brown devient chancelier de l’Échiquier. Les deux hommes sont convenus que le premier s’effacerait au profit du second aux élections suivantes. Blair ne tiendra jamais sa promesse. Brown, mortifié, ronge son frein en silence. Il croit son heure venue en 2005. Le Premier ministre, affaibli par la guerre en Irak, veut livrer et gagner une dernière bataille, mais laisse entendre qu’il passera la main avant le terme prévu de son mandat (2009) s’il est réélu. Les électeurs lui accordent une nouvelle fois leur confiance. Brown, comme beaucoup de ses compatriotes, a interprété les propos de Blair, croyant comprendre que le Premier ministre quitterait le pouvoir au bout d’un an, en 2006. Le 6 juillet, Londres remporte les jeux Olympiques de 2012, un succès unanimement porté au crédit du Premier ministre. Et dès le lendemain, une série de bombes éclatent dans le métro. Al-Qaïda fait payer aux Anglais le prix de leur alliance avec les États-Unis. Blair ne flanche pas dans l’épreuve. Plus le temps passe, et moins il donne l’impression de vouloir partir de manière anticipée. On connaît la suite
Que restera-t-il des années Blair ? Incontestablement, son bilan économique et social est flatteur. Même si elle n’a pu améliorer le sort des working poors (« travailleurs pauvres »), sa doctrine vaut mieux que l’image caricaturale qu’en ont donné les éditorialistes français. Elle est aux antipodes du libéralisme sauvage thatchérien : chômage ramené à 5 %, inflation jugulée, bonne tenue de la livre sterling, dynamisme de l’économie, mais aussi, c’est moins connu, revalorisation du rôle de l’État et des services publics. Blair a instauré un salaire minimum, un plan de lutte contre la pauvreté, injecté 40 milliards d’euros dans la santé, doublé les dépenses d’éducation. Ce partisan décomplexé de « la loi et de l’ordre » a instauré une politique de tolérance zéro en matière d’incivilités et de délinquance. Et bien que puritain, il a rendu possible l’union entre homosexuels.
La politique internationale constitue l’aspect le moins reluisant – ou le plus calamiteux, c’est selon – de son bilan. Après des débuts prometteurs et europhiles, Blair a commis la faute de s’aligner inconditionnellement sur l’Amérique de Bush après le 11 septembre 2001. Lui qui partage plus d’une affinité avec le président américain (il est fervent chrétien, adepte du créationnisme, et croit que le monde se divise en « bons » et « méchants ») a toujours prétendu que la présence de Londres aux côtés de Washington devait exercer une influence « modératrice » sur la politique américaine. Mais son engagement militaire massif en Irak et en Afghanistan n’a en rien contribué à rééquilibrer la politique américaine au Proche-Orient, bien au contraire. Pis, Blair a été pris en flagrant délit de manipulations et de mensonges au sujet des « armes de destruction massives » irakiennes. En froid avec les Européens, coupé du monde arabe, l’Anglais, qui s’est refusé à condamner l’attaque israélienne contre le Liban, laisse aujourd’hui son pays plus isolé que jamais sur la scène mondiale. Gordon Brown saura-t-il remonter la pente ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires