Raouf Ben Amor

Cet ancien comédien de théâtre tunisien est l’actuel directeur du Festival de Carthage.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

A la tombée de la nuit, si vous passez du côté du club nautique de Sidi Bou Saïd, vous le verrez. De blanc vêtu, réservé et galant lorsqu’il y a une dame dans les parages. Gentleman mais pas anglais, même s’il a vécu à Londres. Sourire cinématographique et moustache soigneusement taillée. Raouf Ben Amor, la soixantaine, est natif de la médina, tunisois pur jus, sachant marier l’élégance des baldiyyas et la courtoisie des aristocrates. Quant à son air réservé, il disparaîtra peu à peu au milieu de sa bande du club, de joyeux lurons, qui se sont décerné le titre de bla – référence à blabzi, « trouble-fête » en arabe – portés sur la noukta, blague typiquement tunisienne.
Raouf Ben Amor, le directeur du Festival de Carthage, vient se ressourcer là après des journées de travail intense, en profite pour siroter son whisky, tirer sur sa Vogue – « des cigarettes de femme », moque la compagnie des blabzias – avant d’être pris dans le feu de la discussion, de finir par en être l’animateur, puisant dans un répertoire d’anecdotes qu’il raconte avec le talent du comédien qu’il a toujours été.

Car Ben Amor est d’abord un homme de théâtre, art auquel il s’initie dès le secondaire, puis à l’université, encouragé par une famille de mélomanes et un frère peintre, tragiquement disparu. Après trois ans d’études en art dramatique au City Litterary Institute de Londres, il rentre en Tunisie pour fonder avec quelques amis le Théâtre du Sud, à Gafsa, où ouvriers et mineurs de la région se prennent à jouer aux côtés de jeunes dramaturges qui formeront les futurs ténors du théâtre tunisien, les Fadhel Jaïbi, Raja Farhat, Fadhel Jaziri ou Mohamed Driss.
Hélas ! la dynamique des années 1970 se perd, et Ben Amor choisit de repartir à Londres où il est nommé chargé de relations publiques au service du tourisme tunisien.
Il sillonne le Royaume-Uni et passe désormais pour un excellent avocat de son pays. Néanmoins, la scène lui manque et, sitôt de retour à Tunis, il renoue avec le théâtre et découvre le cinéma, en décrochant le second rôle de Judas dans Le Messie de Roberto Rossellini, avant d’être sollicité par Franco Zefirelli, Pierre Richard ou Roman Polanski. Le cinéma tunisien lui offre des rôles de premier plan, mais ce sont surtout ses apparitions à la télévision qui vont faire de lui la coqueluche du public, notamment dans le rôle de Si Chadli, qui le fait héler par toutes les ménagères chaque fois qu’il pointe le nez dehors.
Ben Amor n’arrive pas à vivre de son métier de comédien. Début 1990, il se met à son compte, monte des documentaires et des émissions pour la télévision, organise des séminaires… L’argent lui sert à réaliser des rêves qui ont toujours à voir avec l’événement culturel. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les organismes officiels et privés de la culture font appel à lui. Son sérieux et son carnet d’adresses, conjugués à sa notoriété de comédien, lui ouvrent toutes les portes : n’importe quel ministre, banquier ou mécène s’incline devant la force de conviction du travailleur inlassable qu’il est, doublée de l’insolente franchise de l’artiste qui fait son trait distinctif. Raouf n’oublie pas la scène qu’il retrouve notamment à El Theatro, en compagnie de Taoufik Jebali, un tandem incroyable, qui tiendra en haleine le public avec la pièce Klam el-Lil.
En 2005, on lui confie le Festival de Carthage : mission difficile, car ce rendez-vous avait tourné le dos à sa vocation internationale pour devenir un festival de la chanson arabe. Ben Amor ouvre l’espace aux voix du monde, renoue avec le continent africain, avec l’art de l’opéra et de la danse. Il crée un « Carthage enfants » et fait place à la poésie. 2006 devait confirmer le prestige retrouvé de cette manifestation, mais il y eut la guerre du Liban et l’annulation de la plupart des spectacles. S’il est sans conteste solidaire avec les Libanais, Raouf ne peut cacher sa déception de n’avoir pas mené à terme son programme. Au club nautique, sa bande de blabzias tente de le consoler : « Tu le feras l’année prochaine, ton festival » « C’est ça ! » laisse-t-il tomber, avant de détourner le regard, l’un des rares moments où Raouf Ben Amor s’extraie des bruits du monde. Dans l’horizon, il décèle probablement la silhouette des personnages qu’il avait interprétés naguère, à moins que ce soit l’ombre de son frère disparu qui hante le crépuscule.

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