Musulman au pays de Bush

Outre-Atlantique, les musulmans seraient mieux intégrés que leurs coreligionnaires d’Europe mais tout autant victimes de préjugés et de racisme.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Où en sont les musulmans américains cinq ans après les attentats du 11 septembre 2001 ? Plusieurs sons de cloche. Le quotidien USA Today cite des enquêtes qui font apparaître « une montée du harcèlement et de la discrimination ». Ainsi un sondage USA Today-Gallup montre que 39 % des personnes interrogées éprouvent de la méfiance à l’égard des musulmans. Autant souhaiteraient qu’ils aient une carte d’identité spéciale « pour empêcher les attentats terroristes aux États-Unis ». Vingt-deux pour cent ne voudraient pas avoir des musulmans pour voisins. Les personnes interrogées se méfient plus des hommes que des femmes. Trente et un pour cent s’inquiètent de la présence d’un musulman à bord de leur avion, mais seulement 18 % si c’est une femme.
Une enquête Los Angeles Times-Bloomberg note aussi que 54 % des sondés se refuseraient à élire un musulman à la Maison Blanche, contre 21 % qui ne voudraient pas d’un chrétien évangélique et 15 % d’un juif.
Selon le Conseil des relations américano-islamiques de Washington, le nombre de plaintes reçues pour agressions verbales ou attitudes discriminatoires est passé de 1 019 en 2003 à 1 972 en 2005, et le moral des Américains musulmans s’en ressent. D’après une étude de la psychologue Mona Amer, de l’université Yale, portant sur 611 adultes, la moitié d’entre eux seraient dans un état dépressif, au lieu de 20 % pour des Américains non musulmans.
Une étude menée par le professeur (d’économie) Robert Kaestner, à paraître dans le Journal of Human Resources du printemps 2007, et qui a porté sur 4 300 Arabes et musulmans âgés de 21 à 54 ans dans les vingt États où vivent 85 % de l’ensemble des Arabo-musulmans américains, relève que leurs salaires ont chuté d’environ 10 % depuis cinq ans. Ils ont reculé de 12 % à 13 % dans les zones qui ont signalé les taux les plus élevés d’actes racistes, contre 6 % à 7 % ailleurs.
Pourtant, dans l’hebdomadaire Time, le professeur (de sciences politiques) Peter Skerry, qui prépare un livre sur le sujet, parle d’une « exception américaine » qui va dans le bon sens et explique « pourquoi la communauté musulmane américaine est nettement différente de celles que l’on trouve en Grande-Bretagne et dans le reste de l’Europe », et moins tentée par le djihad.
La première différence est qu’aux États-Unis on ne compte que 2 à 3 millions de musulmans, soit moins de 1 % de la population, au lieu de 8 % à 9 % en France, 5,6 % aux Pays-Bas, 3,65 % en Allemagne et un peu moins de 3 % en Grande-Bretagne. En outre, sauf de rares exceptions, comme à Detroit ou à Dearborn, dans le Michigan, ces Américains musulmans sont éparpillés parmi les autres Américains et « ils ont tendance à être des membres de professions libérales qui ont fait des études supérieures ».
La différence « la plus vitale », aux yeux de Skerry, est l’importance que l’Amérique accorde à la liberté de religion. Ce qui se reflète dans le nombre d’établissements scolaires musulmans gérés par des musulmans : environ 250, soit le double de la Grande-Bretagne, pour le même nombre de fidèles. C’est un facteur non négligeable d’intégration dans la société américaine.
Le New York Times confirme, avec des nuances, cette analyse dans une enquête sur la communauté pakistanaise de Devon Avenue, à Chicago – une avenue qu’on appelle aussi Muhammad Ali Jinnah, du nom du père du Pakistan.
À la question de savoir si une telle « enclave » pourrait être un foyer de terrorisme, écrit le journal, « la réponse la plus généralement admise est non, du moins pour l’instant, en raison des différences qui ont fait que les Pakistanais des États-Unis ont beaucoup mieux réussi économiquement et sont beaucoup mieux assimilés culturellement que leurs homologues de Grande-Bretagne. Mais certains Pakistanais-Américains n’excluent pas cette possibilité, compte tenu du peu que l’on sait sur ce qui peut amener de jeunes musulmans en colère à accepter une idéologie qui admet le suicide et le meurtre collectif. » Conclusion de l’article, ces propos d’un Pakistanais qui vit aux États-Unis depuis 1971 et qui est plutôt un modèle de réussite : « Les Pakistanais de Chicago se sont jusqu’ici bien adaptés, mais on ne sait jamais. »

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