L’ONE retrouve du jus

Le nouveau patron de l’Office national d’électricité s’est fixé pour objectif de répondre à l’intégralité des besoins. Avec l’appui de partenaires privés.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Lorsque, le 15 février dernier, Mohammed VI le nomme à la tête de l’Office national d’électricité (ONE), les médias voient dans le choix royal le signe que la réforme du secteur énergétique passe à la vitesse supérieure. Ils ne s’y sont pas trompés. Younes Maamar, 36 ans, fait partie de cette génération de jeunes patrons marocains qui, à la tête des grandes entreprises nationales, nourrissent pour leur pays des rêves de modernité et de compétitivité économiques.
Un cigare Montecristo en main, il vous accueille avec un « bonsoir » poli en pleine journée, décalage horaire oblige : la veille, il était à New York. Dans un fauteuil en cuir, le nouveau directeur général déroule avec aisance ses ambitions pour l’établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1963, qu’il ne dirige de facto que depuis le mois d’avril, ayant eu besoin de six semaines pour « couper le cordon » avec son ancien employeur, l’américain AES. Depuis sa prise de fonctions, il y a six mois, il ne s’est que rarement confié aux médias.
Le Maroc change, et les infrastructures électriques ne répondent plus aux besoins. Signe de la vigueur de la croissance, la demande énergétique progresse de façon « vertigineuse », dixit Younes Maamar : + 8 % par an en moyenne ces trois dernières années. Principal responsable : la consommation des ménages, mais les petites et moyennes entreprises participent de plus en plus au mouvement. Seulement voilà, à cause d’un « retard d’investissements non négligeable », l’outil de production marocain est vétuste. Conséquence : la puissance installée – 5 252 mégawatts (MW) en 2005 – ne suffirait pas à satisfaire l’intégralité de la demande, l’ONE ayant pour ambition d’atteindre, l’année prochaine, un taux d’électrification de 100 %, contre 84 % fin 2005.
Pour faire face à l’augmentation des besoins, le nouveau patron de l’ONE estime qu’il faut « 400 à 600 MW de nouvelles installations de production par an ». Ce qui implique « 1 milliard d’euros d’investissements annuels quand on y ajoute les besoins en infrastructures de transport et de distribution » Difficile d’imaginer que le Maroc, 124e au classement selon l’indice de développement humain (IDH), donne la priorité à ce poste de dépenses. Pour Younes Maamar, il ne fait aucun doute que « c’est au privé d’investir. Il faut que l’État se concentre sur son rôle de régulateur et sur les aspects sociaux et environnementaux. » L’opération séduction des partenaires privés commence : « Nous allons lancer des appels à préqualification pour une centrale thermique fonctionnant au charbon, d’une capacité de 1 200 MW, au nord d’Agadir. » Pour des questions de diversification des sources d’énergie, trois autres appels d’offres suivront : une centrale fonctionnant au GNL (gaz naturel liquéfié), une autre solaire et un projet éolien. Au passage, le Maroc affiche son souci environnemental.
« Le secteur électrique marocain est mature », rappelle à l’envi l’ancien élève de l’École centrale de Nantes pour mieux attirer les investisseurs. Mature sur le plan opérationnel, d’abord. Lors de la première interconnexion avec l’Espagne (en 1997), les professionnels européens ont un moment redouté que des différences de fréquence ne paralysent le réseau du Vieux Continent. Il n’en a rien été, l’opération s’est déroulée sans encombre. Depuis, la maîtrise marocaine est reconnue sur la scène internationale. La capacité de la liaison a été doublée en juin. Autre atout : le secteur ayant entamé sa libéralisation en 1994, il compte plusieurs acteurs privés. La centrale de Jorf Lasfar, notamment, intervient à l’échelon de la production. Les sociétés Redal (filiale de Veolia environnement) et Lydec (Suez) assurent la distribution, respectivement à Rabat et à Casablanca. En revanche, le maillon du transport est l’apanage du seul ONE. Comme dans toutes les économies du monde, cette mission, quasiment régalienne, est l’objet d’un monopole.
Le tableau comporte toutefois quelques ombres. Les régies et les concessionnaires privés qui, parallèlement à l’ONE, distribuent l’électricité, ont des contrats passés de gré à gré et sont liés à l’Office dans des conditions économiques et financières souvent fortement déséquilibrées. Selon Younes Maamar, les prix payés par les distributeurs en vertu de ces contrats ne reflètent pas la structure des coûts subis par l’ONE. « Il existe des situations de rente, tandis que l’ONE souffre d’une marge négative », estime son directeur général, qui prévoit donc de « contractualiser tous les échanges électriques ». À cet effet, il a fait appel aux services d’un cabinet d’avocats londonien, Allen & Overy, et d’une banque d’affaires, chargés d’analyser, pour les réviser, tous les accords en cours. Autre projet : mettre les opérateurs en concurrence sur les tarifs, qui, actuellement, diffèrent d’une ville à l’autre.
Le volet le plus délicat du programme de Younes Maamar est probablement la création, au sein de l’ONE, de deux entités remplissant le rôle de régulateur pour l’une, et d’acteur économique pour l’autre. « Le secteur électrique marocain est un secteur syndiqué », explique-t-il avant d’assurer que ce n’est « pas insurmontable ». L’homme est toujours optimisme, répétant que sa mission est « de trouver des solutions, et non des problèmes ». Estimant que son prédécesseur a instauré un climat de dialogue avec les syndicats, Younes Maamar se montre serein. Il ne se prive toutefois pas d’insister : lors de sa mue, l’ONE s’engagera devant la loi à accomplir sa mission de service public et à préserver les acquis sociaux.

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