L’injustice continue

Les anciens combattants africains de l’armée française, à l’honneur dans le film Indigènes, n’ont toujours pas obtenu la revalorisation de leurs pensions

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

« Ce film représente le désir de toute une génération […] de retrouver sa mémoire, son histoire. C’est un grand cri d’amour envers les uns et les autres », expliquait en mai dernier l’acteur français d’origine tunisienne Sami Bouajila lors de la présentation en avant-première du film Indigènes, au Festival de Cannes. Le dernier long-métrage de Rachib Bouchareb, qui sort le 27 septembre dans l’Hexagone, est un hommage aux soldats originaires de l’ex-empire colonial français ayant combattu sous le drapeau tricolore. Offrira-t-il aussi aux anciens combattants de l’Armée d’Afrique la réparation d’une injustice vieille de quarante-sept ans ? Depuis 1959, en effet, tirailleurs, spahis et autres goumiers africains sont victimes d’une inégalité de traitement dans le versement de leurs pensions militaires, inférieures à celles de leurs compagnons d’armes métropolitains.
Les dernières décisions prises par la justice permettent malheureusement d’en douter. Le 18 juillet, le Conseil d’État français a rendu un arrêt validant le décret 2003-1044 du 3 novembre 2003, qui prévoit une revalorisation des pensions des anciens combattants étrangers en fonction du coût de la vie dans leurs pays de résidence. La requête du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) devant cette juridiction a donc échoué. Le Conseil d’État ne nie pas la non-conformité du décret à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité. Mais il estime que le décret laisse « au législateur national une marge d’appréciation » tant pour « choisir les modalités de mise en uvre du dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française résidant hors de France que pour juger si un tel dispositif trouve des justifications appropriées dans des considérations d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi ».
Regrettant cette décision, le Gisti juge très choquant le fait que la « règle du lieu de résidence […] ne s’applique qu’aux étrangers, les Français ne voyant jamais leur pension diminuer s’ils installent leur résidence hors de France ». Il juge aussi « très contestable la marge de discrimination que le juge reconnaît au gouvernement à l’égard des étrangers ». Il ne compte donc pas en rester là et sera soutenu dans sa lutte par les anciens combattants hexagonaux. « Nous sommes pour la décristallisation totale, et non partielle, des pensions des soldats de l’ex-Communauté française, affirme le colonel Pierre Bovy, vice-président délégué de l’Union fédérale des associations françaises d’anciens combattants. Et nous avons la désagréable impression que les autorités traînent les pieds pour que le combat cesse, faute de combattants. » Une réticence qui s’explique par l’enjeu financier colossal que représente le rétablissement des soldats étrangers dans l’intégralité de leur droit : si elle était condamnée, la France devrait, en effet, débourser la bagatelle de 1,8 milliard d’euros… Le Gisti a désormais l’intention de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), où il pense avoir de bonnes chances de l’emporter. À l’échelle internationale, « Paris a souvent été pointé du doigt dans des affaires similaires », comme le souligne Serge Slama, membre du bureau du Gisti et maître de conférences en droit public à l’université Évry-Val-d’Essonne.
Reste néanmoins un obstacle, et de taille : le temps, qui est précisément ce qui manque aux anciens combattants. Outre le fait qu’une procédure engagée devant la CEDH met plusieurs années avant d’aboutir, le Gisti doit attendre, pour pouvoir la déclencher, que la France se mette en faute, par exemple si le Conseil d’État déboute un ancien soldat étranger sur le sujet, ce qui ne s’est encore jamais produit
« Avec la baisse des sommes en jeu chaque année, notre principal espoir réside, en fait, dans un geste de l’Élysée », poursuit Serge Slama. Chirac a-il fait un pas dans cette direction, le 14 juillet dernier, en indiquant, lors du traditionnel entretien qu’il accorde à l’occasion de la fête nationale, que « [son] intention [était] de poursuivre [le] mouvement [d’augmentation des pensions], qui permet de rendre [aux] combattants [des anciennes colonies d’Afrique] l’hommage qui leur est légitimement dû » ? « Il s’agit en tout cas d’un élément nouveau. Il faut maintenant savoir si ce ne sont que des paroles en l’air ou pas », commente le colonel Pierre Bovy.
Le Gisti attend également que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), saisie en novembre 2005, donne son avis sur la question. « Si, compte tenu de la caution qu’elle représente, la Halde jugeait discriminatoire la décristallisation partielle des pensions des anciens combattants étrangers ou qu’elle soutenait une requête en justice, comme la loi du 31 mars 2006 l’y autorise, ce serait un argument de poids pour modifier la législation, reprend Slama, qui ajoute : Les propositions de Laurent Vallée, le commissaire du gouvernement, ne sont pas absurdes. » Celles-ci préconisent en effet une revalorisation différente en fonction du type de pension : simple augmentation par rapport au coût de la vie dans le pays d’origine de l’allocataire pour les pensions de retraite des fonctionnaires civils et militaires, et alignement complet sur le régime français pour les allocations d’invalidité, qui, elles, doivent réparer un préjudice. Car « devant la balle, nous étions tous égaux », conclut, en substance, Alioune Camara, le directeur de l’Office national des anciens combattants (Onac) sénégalais.

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