[Chronique] Un ministre met son bébé au dos, et brise un tabou

En un cliché, le ministre sierra-léonais David Moinina Sengeh invite les pères à effectuer des tâches souvent réservées aux mères.

 © Damien Glez

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Publié le 7 mai 2020 Lecture : 3 minutes.

Le confinement n’en finit pas de révéler l’inédit. Le 28 avril dernier, en télétravail pour cause de distanciation sociale, le ministre sierra-léonais de l’Éducation finit de nourrir Peyninas, sa fille de 10 mois, avant de rejoindre une réunion sur la plateforme de vidéoconférence collective Zoom. Constatant que son bébé somnole sous l’effet de la digestion, David Moinina Sengeh entreprend de l’attacher à son dos avec un pagne. C’est dans ces conditions qu’il participe à la réunion.

Déjà connu pour son sens de la communication, l’atypique politicien-docteur-journaliste-musicien ne manque pas de poster, sur les réseaux sociaux, le cliché de sa paternité épanouie. Mise en scène narcissique ou témoignage nécessaire ? L’image devient virale…

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Mini-buzz et maxi-buzz

Le buzz se situe à deux niveaux. Un mini-buzz est alimenté par l’inédite impudeur d’un commis de l’État qui expose sa vie privée.

Si c’était ma femme qui avait fait cela, alors ce tweet n’aurait pas été viral

En matière de gestion de progéniture en plein exercice d’un mandat politique, c’est en Islande, en Argentine ou en Australie que des élues – respectivement Unnur Bra Konradsdottir, Victoria Donda Perez et Larissa Waters – ont osé allaiter leur bébé en pleine séance parlementaire. Une scène difficilement imaginable dans des pays africains où les femmes sont peu représentées aux assemblées législatives.

Mais le mini-buzz de l’élu sierra-léonais en cuisine n’élude évidemment pas le maxi-buzz provoqué par le fait qu’il s’agit d’un homme…

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Face à la viralité de sa photo, David Moinina Sengeh n’a pas manqué de le souligner dans l’émission Newsday de la BBC : « Si c’était ma femme qui avait fait cela, alors ce tweet n’aurait pas été viral ».

Sur un continent où l’on ne prise guère le jeu de bonneteau entre « sexe » et « genre », il est rare qu’un mâle effectue publiquement certaines tâches encore jugées typiquement maternelles. Et voilà lancé, à l’occasion de la mise au dos de Peyninas, le débat de la répartition des rôles dans le couple –le ministre affirme qu’il a « des amis qui n’ont jamais changé une couche »– et même celui de la place réservée à la femme dans les établissements scolaires ou dans la société…

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C’est un machisme à deux niveaux que révèle le cliché viral du ministre confiné. Il y a certes le machisme indécrottable des maris qui réservent à leur(s) épouse(s) la gestion de leur descendance, invoquant un « ordre des choses » ancestral, voire naturel.

Tabou

Mais il y a aussi le machisme de surface d’hommes plus conciliants qu’ils n’y paraissent, portant un bébé au dos à l’occasion, mais refusant catégoriquement que leur virilité soit mise en question par une captation de la scène.

C’est aussi ce tabou que David Moinina Sengeh a tenté de briser. Avec un certain succès, si l’on croît les quasi-mèmes qui fleurissent depuis le début du buzz : des hommes répondent au tweet ministériel avec des photos de leurs propres activités avec leurs enfants, qui en pleine lecture d’un conte, qui en train de cuisiner pour son bébé.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10157613024528066&set=pb.529478065.-2207520000..&type=3&theater

Peu de mises au dos spontanées, pour l’instant, sinon dans le cadre de démarches artistiques mises en scènes par des expatriés, comme la collection « Pères », de la photographe espagnole Marta Moreiras, qui avait demandé à des Sénégalais de poser avec leur descendance attachée avec un pagne…

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