L’Afrique poubelle

L’affaire des déchets toxiques d’Abidjan n’est pas un cas isolé sur le continent. Le dossier du scandale.

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Quelque 580 tonnes de déchets toxiques sauvagement déversées sur une douzaine de décharges d’Abidjan et de ses faubourgs ; six morts déjà officiellement déclarés alors que le décompte macabre risque de se poursuivre ; des dizaines de milliers de victimes de ces émanations à l’odeur d’uf pourri qui prend à la gorge, provoque irritations cutanées, malaises, diarrhées, vomissements, maux de tête et saignements de nez L’onde de choc du scandale du Probo Koala, du nom du bateau propriété de la compagnie grecque Prime Maritime Management Inc. affrété par la société néerlandaise Trafigura, qui a accosté le 19 août au port de la capitale économique de la Côte d’Ivoire avec sa funeste cargaison, continue de nourrir l’inquiétude et d’entretenir la polémique. Une affaire de gros sous et de pots-de-vin pour les uns, une naïveté coupable pour les autres. En tout cas, un mélange explosif qui a amené le Premier ministre Charles Konan Banny à annoncer, le 6 septembre, la démission de son gouvernement d’union nationale, coupable à ses yeux de négligences.
Une commission d’enquête a été mise en place ainsi qu’un comité d’une dizaine de ministres chargé d’apporter des solutions d’urgence aux populations sinistrées, en attendant d’établir la chaîne des responsabilités politiques et administratives. Plusieurs personnes sont d’ores et déjà en prison et d’autres devraient les y rejoindre – si, bien sûr, les investigations vont jusqu’au bout et ne s’arrêtent pas aux lampistes. Mais le Probo Koala et ses cales remplies de tonnes de puanteurs toxiques ne sont que la pointe émergée d’un iceberg, la partie échouée d’un trafic aussi secret que celui des armes. Car il n’est pas, loin s’en faut, le premier bateau battant pavillon de complaisance à chercher preneur africain des déchets du monde riche. Si la Côte d’Ivoire est aujourd’hui sous le feu des projecteurs, il y a probablement des cas similaires ailleurs sur le continent, passés inaperçus, aussi discrètement que les dessous-de-table qui le permettent. Au grand dam de populations qui essaient de survivre entre petits boulots et bricoles, misère et débrouille.
À l’origine de cet échange Nord-Sud d’un genre particulier, l’inextricable problème des rejets chimiques ou autres que les pays industrialisés produisent en quantité chaque année plus importante. Le corset des réglementations occidentales et internationales, la vigilance et les pressions des mouvements écologistes destinées à protéger l’environnement rendent très onéreuse – parfois insupportable – une élimination propre. Et suscitent des vocations de trafiquants. Pour soigner davantage leur marge de manuvre financière, des grosses firmes industrielles ou chimiques n’hésitent pas à solliciter des filières d’exportation de moins en moins avouables.
Résultat, pour une société, un armateur, le raisonnement parfaitement amoral et simple est évident même quand le pays ciblé s’appelle la Côte d’Ivoire et qu’il se débat depuis quatre ans dans une crise politico-militaire : pourquoi payer très cher pour se débarrasser de produits dangereux quand on peut les entreposer quelque part, dans un pays du Tiers Monde, pour trois fois rien, transport compris ? Mais pendant combien de temps encore des bateaux comme le Probo Koala pourront-ils continuer, avec la complicité de sociétés écrans et d’autorités locales vénales, à mettre le cap sur le continent au risque d’en faire une poubelle géante pour des pollueurs venus discrètement du Nord ?

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