La Côte d’Ivoire se fissure

Publié le 18 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

La ville est encore endormie quand les premiers coups de feu résonnent à Cocody et au Plateau. Il est 3 heures du matin, et, pour les habitants d’Abidjan, le réveil par les tirs de mortier ravive immédiatement les douloureux souvenirs de ce Noël 1999, quand des hommes en armes avaient fait tomber le régime d’Henri Konan Bédié, pour donner le pouvoir au général Robert Gueï. Depuis, la Côte d’Ivoire n’a jamais retrouvé la stabilité qui faisait sa force dans la sous-région.
Les nouvelles qui arrivent de la rue ne sont pas bonnes. Des militaires pilonnent des sites proches du palais présidentiel et du siège de la Radiotélévision Ivoirienne (RTI) à l’AK-47 et aux mitrailleuses lourdes T-38. L’école de gendarmerie de Cocody est attaquée, tout comme la caserne de la Brigade antiémeutes de Yopougon et la gendarmerie d’Agban. Les premiers bruits circulent. Des hommes de troupe auraient pris les armes pour s’opposer à la décision de l’état-major de les démobiliser dans les semaines à venir. Jusqu’à la fin de la matinée, les Abidjanais, qui ont préféré pour la plupart, rester chez eux, pensent donc qu’il ne s’agit « que » d’une mutinerie. Les marchands des rues, d’ordinaire si nombreux au Plateau, ont déserté. La ville est vide. Les ponts Houphouët-Boigny et De-Gaulle sont bloqués.
Signe inquiétant, le chef de l’État Laurent Gbagbo n’est pas au pays. Il est en visite officielle en Italie. Tenu au courant des événements par son Premier ministre, Pascal Afi N’Guessan, et son ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, il apprend que les résidences de trois hommes clés du régime ont été attaquées, et qu’Émile Boga Doudou, le ministre de l’Intérieur, a trouvé la mort.

Pourtant, depuis Rome, l’entourage de la présidence se veut rassurant. En début de matinée, Laurent Gbagbo fait savoir à ses compatriotes que les éléments mutins ont été identifiés et que le calme ne saurait manquer de revenir à Abidjan. Pour le moment, nul mot de ce qui se passe dans le Nord. Gbagbo sait que son ministre des Sports a été séquestré à Bouaké. Il sait que deux bases militaires ont été attaquées dans la deuxième ville du pays ainsi qu’à Ferkessédougou, que des officiers y ont été tués. Korhogo, elle, est aux mains de ceux qu’on appelle encore « les mutins ». Sous une pluie battante, ils ont pris rapidement le contrôle des points stratégiques, ouvert la maison d’arrêt et distribué des armes aux détenus.
Dans la capitale économique, les Ivoiriens vont à la pêche aux infos, quand le téléphone passe Sur les ondes de la radio nationale, rien. À la télévision, pas d’images. La nouvelle de la mort de Robert Gueï commence à circuler. Il serait, dit-on, à l’origine d’une rébellion et les forces loyalistes l’auraient abattu alors qu’il se dirigeait vers la RTI pour annoncer le coup d’État. En réalité, il avait trouvé refuge à l’archevêché, en début d’après-midi, d’où sont venus le déloger des hommes puissamment armés, qui avaient, au préalable, abattu, à son domicile, son épouse Rose. On découvre le corps de Gueï, une balle dans la tempe, près de la Polyclinique internationale Sainte-Marie (Pisam).

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En milieu d’après-midi, la RTI brise le silence et confirme l’hypothèse du coup d’État. Lida Kouassi assure pourtant que l’armée contrôle le pays, sauf « quelques petites poches de résistance ». Gbagbo fait savoir depuis l’Italie que la situation est « sous contrôle à Abidjan et en cours de normalisation à Bouaké ». Sans convaincre. Les Abidjanais savent que Korhogo et Bouaké sont tombées aux mains des mutins, devenus, en fin de journée, « des rebelles ». Même s’ils ne connaissent pas encore l’existence du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) qui révélera son nom quelques jours plus tard, les Ivoiriens ont compris que leur pays ne se remettrait pas si facilement de cette journée sanglante.
Les opposants de Gbagbo n’ont pas attendu pour prendre leurs précautions. Alassane Dramane Ouattara (ADO) s’est précipité à l’ambassade d’Allemagne, d’où il sera ensuite transféré par les militaires du 43e Bima à celle de France. Henri Konan Bédié, lui, est avec les siens à l’ambassade du Canada. Les deux hommes ne tarderont pas à reprendre le chemin de Paris.
La France, elle, observe, inquiète. En liaison permanente avec Laurent Gbagbo, à Rome, elle ne doute plus du coup d’État, mais s’interroge sur l’identité des rebelles et leurs motifs. Le 20 septembre, la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, déclare que « la France n’a pas l’intention de s’ingérer dans le domaine d’un pays. Pour l’instant, il s’agit d’une affaire qui est purement intérieure à la Côte d’Ivoire ».
Deux jours plus tard, des milliers de logements précaires aux alentours des casernes seront incendiés. Le bilan est déjà trop lourd pour que ces dramatiques journées ne soient pas immédiatement inscrites à l’encre rouge dans l’histoire du pays : 270 morts, 300 blessés. Quatre ans plus tard, la Côte d’Ivoire n’est toujours pas sortie d’affaire. Loin s’en faut.

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