Nettoyage par le vide

La décision de raser les bidonvilles d’Harare suscite une polémique internationale. Seule l’Union africaine a choisi la discrétion.

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Nom de code : Murambatsvina, ou « Vidons les ordures ». Date de lancement : 19 mai. Théâtre d’opérations : les townships du Zimbabwe. Responsable : le gouvernement de Robert Mugabe. Moyens : bulldozers. But officiel : inciter les ruraux arrivés en masse dans les centres urbains à retourner dans les campagnes afin « d’éliminer les repaires du crime, la saleté et lutter contre le trafic illégal des produits de première nécessité ». Résultat : selon l’ONU, entre 200 000 et 300 000 hommes, femmes et enfants, sans abris ni ressources, se retrouvent sur les routes de l’ancien « grenier de l’Afrique australe », qui jongle avec la famine et souffre d’une pénurie de carburant. Selon le Movement for Democratic Change (MDC, principal parti d’opposition) et les ONG, ce sont plus d’un million et demi de pauvres qu’on a chassés des villes, en détruisant systématiquement leurs logements et commerces, en représailles des élections législatives de mars où les centres urbains ont voté en faveur du MDC et de son leader, Morgan Tsvangirai.
La réalité est plus complexe. L’ancienne Rhodésie du Sud est loin d’être le seul pays africain confronté au problème d’une urbanisation accélérée et incontrôlée. Mais, au Zimbabwe, le tollé suscité par la réforme agraire lancée par le chef de l’État en 2000 n’est pas encore retombé que le président prête à nouveau le flanc à ses détracteurs, nombreux en dehors du continent. Réunis à Gleneagles, en Écosse, les dirigeants des pays du G8 ont « déploré unanimement ces événements ». Le Premier ministre britannique Tony Blair, particulièrement virulent sur la politique du libérateur de la Rhodésie du Sud, s’est offusqué des « récents développements au Zimbabwe » et demandera prochainement au Conseil de sécurité des Nations Unies de se saisir de la question. Le Parlement européen s’est exprimé le 7 juillet sur ce que les députés appellent « l’oppression par Mugabe de son propre peuple » en demandant l’arrêt immédiat des démolitions des townships. Une délégation de leaders religieux sud-africains a dénoncé sur place, le 12 juillet, les conditions de vie « déplorables » des gens jetés à la rue et condamné la campagne « inhumaine » menée par les autorités. Aux côtés d’Amnesty International, 200 ONG africaines ont rapporté la détresse dans laquelle sont plongés les centaines de milliers de Zimbabwéens dont les maisons, construites à l’aide de matériaux de fortune, ont été rasées, parfois avec tout ce qu’elles contenaient. Nattes, tables, réserves de nourriture, objets divers ont été perdus, mais, surtout, des enfants qu’on n’a pas eu le temps de dégager des décombres auraient, selon Amnesty, perdu la vie à Porta Farm, une township d’Harare.
Le secrétaire général de l’ONU n’est pas resté insensible. Devant l’ampleur des expulsions forcées, Kofi Annan a dépêché sur place une envoyée spéciale : Anna Tibaijuka, la secrétaire exécutive du programme des Nations Unies pour les établissements humains (UN Habitat), s’est rendue au Zimbabwe du 26 juin au 9 juillet. Selon elle, le « nettoyage » des bidonvilles, bien que nécessaire, aurait dû être le résultat d’un processus et non pas d’une décision précipitée. Mugabe a promis de reloger les sans-abri et, pour cela, réclame une aide de 325 millions de dollars pour construire 1,2 million de maisons salubres d’ici à 2008. L’inflation (qui a atteint 144 % en 2005), la famine qui menace les populations et les sanctions européennes qui pèsent sur le pays hypothèquent d’avance la réussite de ce plan de relogement.
Face à cette avalanche de protestations contre Harare, l’Afrique s’est montrée peu bavarde. Le 6 juillet, Kofi Annan s’est élevé contre l’absence de position africaine sur les récents événements, mais plus généralement sur la crise dans laquelle est plongé le Zimbabwe depuis cinq ans. Dans une interview au Financial Times, il a enjoint les dirigeants du continent de « mettre fin au silence qui règne sur les actions de certains gouvernements, dommageables à toute l’Afrique ». Comme celui de Robert Mugabe, a-t-il précisé. « J’ai souvent essayé de faire comprendre aux responsables africains qu’ils ne pouvaient pas continuer à considérer ce genre de situations comme purement internes. » Il faisait ainsi allusion à la position officielle de l’UA, exprimée le 24 juin par le porte-parole Desmond Orjiako, qui ne pensait pas « justifié » d’intervenir dans les problèmes zimbabwéens. Ainsi qu’au Sommet de l’UA, qui s’est tenu à Syrte les 4 et 5 juillet, et où le sujet ne figurait pas à l’ordre du jour.
Cela n’a pourtant pas empêché les « patrons » de l’UA de s’en préoccuper en dehors de la salle de conférences. Le sujet a suffisamment occupé les esprits pour que le président en exercice de l’Union, Olusegun Obasanjo, l’aborde directement avec l’intéressé. D’abord réticent, le président zimbabwéen s’est laissé convaincre par son homologue nigérian de rencontrer Morgan Tsvangirai. En échange de la promesse par Obasanjo qu’un ancien chef d’État de la sous-région serait désigné par l’UA comme médiateur dans des pourparlers qui dépasseront la crise provoquée par la destruction des townships.
La quiet diplomacy prise en main par Obasanjo a été précédée d’une initiative du président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré. Le 28 juin, il a désigné Bahame Tom Nyanduga, membre de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ACHPR), pour conduire une mission d’observation. Arrivé le 30 juin à Harare, Nyanduga a été refoulé par les autorités, alors que celles-ci avaient accepté de coopérer avec l’envoyée spéciale de Kofi Annan quelques jours auparavant. Motif : « Irrégularités dans la procédure », a argué la présidence zimbabwéenne. Un camouflet qu’on a pris soin de reléguer rapidement aux oubliettes, pour mettre en valeur l’action du président en exercice. En deux semaines, l’initiative diplomatique de l’UA est donc devenue plus directe, bien que toujours discrète. Les efforts conjugués de Konaré et d’Obasanjo ne témoignent pas moins de la gravité de la crise zimbabwéenne qui dure depuis cinq ans.

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