Mauvais choix…

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Dix jours après les actes de terrorisme indiscriminé qui ont fait plusieurs dizaines de tués et des centaines de blessés dans la capitale britannique, je ne me risquerai pas à formuler une évaluation : il s’agit, certes, d’un nouvel épisode pas tout à fait inattendu de la guerre qui oppose, depuis le 11 septembre 2001, ceux qu’on appelle désormais les djihadistes islamistes à la coalition formée (et dirigée) par les États-Unis. Mais cet épisode-rebondissement, que représente-t-il au juste ? Revers pour l’un des deux camps et victoire pour l’autre ? Ou bien un pas de plus de l’un et l’autre vers de futurs dérapages ? Quels prolongements risque-t-il d’avoir dans chacun des deux camps ?

Vous le noterez : les analyses que nous publions en pages 12 à 17 sont prudentes, car les données dont nous disposons à ce jour sont trop éparses, trop partielles – et partiales – pour fonder un jugement assuré.
Et ce ne sont pas des expressions biaisées comme « le monde libre », « les nations civilisées », « l’Occident », réapparues à cette occasion, quinze ans après la fin de la guerre froide, ou des explications simplistes telles que « ce sont des barbares qui nous envient notre liberté », qui aident à y voir clair…

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Dans le flot de jugements hâtifs et de commentaires subjectifs suscités par l’événement, j’ai cependant découvert, dans le quotidien britannique The Independent, sous la signature de l’un de ses éditorialistes les plus prestigieux, Johann Hari, une explication politique. Je vous la livre :
« Pourquoi ces actes horribles ? La réponse de certains à cette question légitime est qu’il s’agit d’actes insensés de psychopathes patentés.
Cette affirmation est tout simplement fausse : ces actes vils sont des meurtres politiques nés d’un contexte politique dont les puissances occidentales sont en partie responsables ; ils sont perpétrés en vue d’un but politique.
Là est l’explication vraie et nous serions bien avisés de la regarder en face.
En Palestine occupée, en Syrie et ici à Londres, j’ai rencontré des islamistes radicaux qui approuvent le massacre de civils, et certains d’entre eux m’ont dit être prêts à en perpétrer eux-mêmes.
Qui s’est donné la peine d’expliquer pourquoi ces gens existent et pourquoi ils en sont arrivés à cette extrémité ?
Ils existent, pensent ce qu’ils m’ont dit et agissent en conséquence parce que, depuis soixante ans, le Royaume-Uni et les États-Unis ont créé et soutenu, armé et financé les despotes musulmans. En contrepartie, ces despotes ont donné à l’Occident accès au pétrole de leurs pays et l’ont aidé à gagner la guerre froide.
Le Royaume-Uni et les États-Unis ont, pendant ces soixante ans, contrecarré les tentatives de réforme de l’islam ou d’introduction de la démocratie. L’exemple le plus connu est leur opposition à l’expérience Mossadegh en Iran en 1951 et l’élimination de celui-ci, par la force, en 1953.
Nous avons torturé, tué ou déporté plusieurs générations de démocrates arabes et musulmans dont auraient pu sortir des Garibaldi ou des Jefferson.
Et c’est ainsi que nous avons fabriqué de nos mains les antidémocrates d’aujourd’hui, dont nous disons qu’ils sont des psychopathes… »
Ne concluez pas de ce que vous venez de lire que Johann Hari a la moindre sympathie pour les islamistes. Il les rejette, au contraire, les qualifiant de « totalitaires à la recherche d’une domination politique et apôtres d’un retour à l’obscurantisme ».
Il a simplement cherché à comprendre et à expliquer ce qui les a créés.

Je prolongerai l’explication de mon confrère britannique par les interrogations suivantes, dont vous verrez qu’elles conduisent à une conclusion irréfragable :
– « La guerre mondiale contre le terrorisme », personnifiée par Bush et Rumsfeld, et illustrée par l’invasion de l’Irak – plus de 50 000 tués à ce jour, en grande majorité Irakiens et civils -, entrera très bientôt dans sa cinquième année.
A-t-elle obtenu des résultats qui la justifient ? Le terrorisme a-t-il reculé ? La guerre a-t-elle tué plus de terroristes qu’elle n’en a produit ?
Les motifs de s’engager dans le djihadisme ont-ils disparu, se sont-ils seulement affaiblis ?
La plupart des observateurs et la majorité des opinions publiques, dans la quasi-totalité des pays du monde, répondent par la négative sans aucune hésitation.
Et c’est l’ambassadeur de Sa Majesté britannique en Italie qui a osé déclarer publiquement que « les chefs terroristes ont trouvé en George W. Bush leur meilleur recruteur ».

– Guantánamo, Abou Ghraib, les dizaines d’enlèvements clandestins opérés par la CIA dans plusieurs pays, en violation de leur souveraineté, de terroristes présumés, pour les livrer à des tortionnaires, confortent-ils la juste lutte contre le terrorisme ou, au contraire, en minent-ils le fondement idéologique ?
À nos yeux, aux yeux de tous les démocrates, ils disqualifient ceux qui les ont autorisés et qui continuent de couvrir les hommes et les femmes qui les pratiquent.
– Les peuples et les nations que la coalition dit vouloir protéger des méfaits du terrorisme se sentent-ils plus en sécurité ? La réponse – négative, elle aussi – est dans le sondage ci-dessous, qui concerne l’Amérique elle-même.
– L’ONU a-t-elle été renforcée par l’attitude des dirigeants de la coalition à son égard, toute de dédain et parfois de provocation (désignation d’un ambassadeur américain qui n’a cessé d’exprimer son mépris à l’égard de l’Organisation), ou bien s’en trouve-t-elle affaiblie, en plein désarroi, avec un secrétaire général assiégé ?
– En Iran, à Cuba, en Libye, au Pakistan, en Arabie saoudite, en Birmanie…, le conservatisme politique et les atteintes aux droits de l’homme sont-ils en recul depuis quatre ans ? Ou bien, au contraire, prospèrent-ils à l’abri des palinodies de Bush et consorts ?
Là encore, les réponses de tous les observateurs sérieux sont négatives, sans la moindre hésitation. Et conduisent à la conclusion que voici :

La « guerre mondiale contre le terrorisme », déclarée par George W. Bush le 12 septembre 2001 en réponse à l’attaque que son pays a subie la veille, se prolonge depuis près de quatre ans sans enregistrer de progrès. Elle ne semble pas avoir de fin et jusqu’ici elle n’a fait que tuer sans guérir.
Elle a infligé à beaucoup de pays des dommages sans contrepartie bénéfique et, bon gré mal gré, le monde entier y engloutit chaque année des dizaines de milliards de dollars enlevés à des dépenses plus utiles.
Mais le plus grave est qu’elle permet à ceux qui la mènent de se maintenir facilement au pouvoir et, par conséquent, de continuer à nous faire subir leurs mauvais choix…

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