[Tribune] Le laboratoire, héros négligé du continent africain

Mis en lumière par l’actuelle pandémie de coronavirus et la nécessité de tester les patients présentant des symptômes, les laboratoires de diagnostic restent, hors temps de crise, les parents pauvres des systèmes de santé africains. Il est temps d’y remédier.

Tests du coronavirus, dans un laboratoire de Nairobi, Kenya © Brian Inganga/AP/SIPA

Tests du coronavirus, dans un laboratoire de Nairobi, Kenya © Brian Inganga/AP/SIPA

Sindé Chekete

Publié le 13 mai 2020 Lecture : 5 minutes.

En Afrique, comme ailleurs dans le monde, la pandémie de Covid-19 a drastiquement rappelé à l’ensemble des acteurs le rôle vital du diagnostic dans la lutte contre les maladies infectieuses épidémiques. Les gouvernements reconnaissent officiellement cette activité comme essentielle face à une telle pandémie virale et se sont décidés à tester à grande échelle en écho au message de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « tester, tester, tester ».

Dès lors, deux questions cruciales se posent ici. D’abord, comment l’Afrique, dans sa très grande hétérogénéité, pourrait-elle tester ses populations alors que les infrastructures de laboratoire restent faibles et vulnérables dans la majorité des pays ? Ensuite, quelles leçons pourront être tirées de cette situation afin de mieux préparer le continent à affronter de futures épidémies ou pandémies, tout en assurant le diagnostic de routine des pathologies infectieuses courantes au sein des populations ?

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Par le passé, l’Afrique s’est beaucoup reposée sur l’assistance technique internationale avec la mise en place ex nihilo de laboratoires peu ou pas intégrés dans le système national, comme c’était le cas lors de l’épidémie Ebola en 2014. Mais avec le Covid-19, première pandémie majeure du XXIe siècle qui touche simultanément l’ensemble des pays, on observe une rupture fondamentale dans les pratiques habituelles.

Un continent sous-équipé

Les pays qui auraient traditionnellement soutenu la mobilisation de la réponse épidémique dans les pays à faible revenu se sont refermés sur eux-mêmes, et il s’avère impossible de déployer sur le continent des ressources humaines internationales. Cette situation oblige les décideurs africains à agir immédiatement, de manière décisive, afin de mettre fin à la négligence chronique des systèmes et services de laboratoire et aux pratiques d’improvisation réactives.

Créé à la suite de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies de l’Union africaine (UA) a récemment joué un rôle important dans le renforcement des capacités de surveillance et de détection des épidémies à travers les réseaux mis en place dans les différentes régions. Malgré ces efforts très louables, l’Afrique reste très largement sous-équipée en infrastructures de laboratoire et contribue peu au développement des connaissances sur les agents pathogènes au niveau mondial. Une surveillance et une détection précoce des épidémies s’appuient inévitablement sur des réseaux de laboratoires, mais également sur le diagnostic chez les patients.

Malgré un rôle crucial, la généralisation du diagnostic biologique en Afrique souffre d’importants obstacles structurels

Aujourd’hui, il existe sur le continent trop peu de laboratoires pour assurer une couverture adéquate de la population à tous les niveaux. Comparativement, le ratio est de 0,2 test par habitant et par an en Afrique subsaharienne et de 1,2 en Afrique du Sud, contre 2 au Brésil et 18 au Royaume-Uni. Ces ratios sont encore plus faibles en excluant les laboratoires financés par l’aide internationale affectée aux trois grandes endémies (paludisme, tuberculose et VIH).

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Des tests peu fiables

Cet état de fait a déshabitué les soignants africains à travailler avec les tests de laboratoire et rendu fréquentes les erreurs de diagnostic. En effet, les patients sont souvent soumis à des tests peu fiables et inexacts, entraînant des dépenses inutiles dans des régions déjà en proie à des pénuries de ressources.

À titre illustratif, une enquête annuelle mondiale a été conduite indépendamment par l’Université d’Anvers, en 2018, sur la prévalence de l’utilisation des anti-infectieux dans les structures sanitaires (Global-Point Prevalence Survey, G-PPS). Cette enquête a montré que 60 % des patients africains (140 sites répartis dans 16 pays) ont reçu au moins un anti-infectieux au cours de leur hospitalisation alors que seuls 5 % de ces traitements étaient précédés d’un test de susceptibilité aux antibiotiques. Cette lacune conduit très fréquemment à la prescription d’antibiotiques non appropriés tout en aggravant une situation déjà préoccupante de résistance aux antibiotiques sur le continent.

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De quoi le diagnostic biologique en Afrique souffre-t-il ? Le résultat d’un tel test est généralement le premier élément d’information non clinique dont un médecin a besoin avant de décider d’un traitement. Il permet également d’optimiser le reste du parcours de soins d’un patient ainsi que l’utilisation efficiente des ressources. Il guide 60 à 70 % des décisions cliniques tout en représentant seulement 5 % des coûts hospitaliers selon les données internationales.

Malgré ce rôle crucial, la généralisation du diagnostic biologique en Afrique souffre d’importants obstacles structurels qui sont principalement une main-d’œuvre insuffisante, une éducation et une formation inadéquates, une infrastructure de qualité médiocre, une faible coordination stratégique au niveau des pays et des sous-régions et réglementation inadéquate des tests, un fardeau fiscal et logistique, y compris la gestion de la chaîne d’approvisionnement, entraînant un surcoût considérable avec des tests deux à trois fois plus chers en Afrique subsaharienne qu’en Europe.

Cinq propositions

Afin de véritablement disposer de services de laboratoire adaptés, accessibles à tous et capables de gérer les analyses de routine appropriées tout en étant pertinents lors des épidémies, nous proposons :

• L’appropriation et l’intégration – dans les budgets nationaux – d’investissements importants, durables et sanctuarisés autour des services de laboratoire, de sorte à éliminer les errances liées à la disponibilité ou non des dons internationaux.

• Le renforcement massif de l’éducation et de la formation des acteurs clés de santé en tirant profit, par exemple, des centres de formation et d’excellence créés par les acteurs privés. L’entreprise française spécialisée dans le diagnostic in vitro bioMérieux dispose d’ailleurs de deux centres de formation sur le continent (Afrique du Sud et Côte d’Ivoire).

• La mise en place de partenariats public-privé en capitalisant sur les expertises et forces de tous les acteurs pour améliorer l’accès aux services de base de laboratoire.

• La décentralisation des structures de laboratoires en favorisant les technologies  intégratives multi-diagnostic qu’apportent les nouveaux dispositifs moléculaires.

• L’application de politiques fiscales incitatives à l’importation ou à la production locale pour l’ensemble des diagnostics essentiels.

Le diagnostic médical est un puissant outil qui mérite de retrouver sa place dans les stratégies nationales et régionales de santé sur notre continent. L’engagement et la réactivité de nos chefs d’État africains face à cette crise sanitaire sont exemplaires, et il faut capitaliser sur cet élan pour améliorer en profondeur et de manière durable nos infrastructures de santé.

BioMérieux joue un rôle de premier plan en Afrique dans la lutte contre les maladies infectieuses et continuera de s’engager durablement aux côtés des États et organisations régionales. L’Afrique peut et doit devenir autosuffisante dans le domaine de la santé publique.

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