Le sushi menace la survie du thon rouge

La fringale des Japonais pour la chair crue du « bluefin » géant risque de décimer l’espèce si l’exploitation continue à ce rythme. D’autant que le kilo du « foie gras des mers » se vend à prix d’or.

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

Pour les amateurs éclairés de sushis, rien ne vaut la chair rouge et grasse d’un suprême de toro (la ventrèche de thon), provenant du bluefin géant (ou thon à nageoires bleues), qui peut atteindre 3 mètres et peser jusqu’à 800 kg. Le nec plus ultra des 500 000 tonnes de poisson cru que le Japon consomme chaque année (7 000 tonnes pour le thon rouge). En raison de la formidable demande du marché japonais en sushis et sashimis, cette pêche se révèle très rentable : un thon rouge peut se vendre plus de 50 000 dollars à la criée de Tokyo. Un prix qui pourrait bientôt provoquer la disparition de ce géant des mers.
La pêche au thon rouge, en effet, a pris en trente-cinq ans un caractère semi-industriel. Les bateaux sont de plus en plus puissants et de mieux en mieux équipés, et les pêcheurs utilisent satellites et avions d’observation pour repérer les bancs de bluefin ! Ces méthodes épuisent de façon alarmante les stocks de l’espèce, même si la pêche de ce grand prédateur ne représente qu’une infime partie (60 000 tonnes) des 3,5 millions de tonnes de thonidés capturés sur toutes les mers du globe. À la fin des années 1980, les stocks de thon rouge dans lesquels puisaient largement les Japonais se sont épuisés. Les pêcheurs se sont alors rabattus sur ceux de la Méditerranée.
Aujourd’hui, à cause de la surpêche, des dizaines de villes méditerranéennes qui, depuis un demi-millénaire, posaient des filets sur leurs côtes, se sont à leur tour détournées de ces eaux. Selon les scientifiques, l’avenir du thon rouge est en réel danger. Les chercheurs qui ont tiré la sonnette d’alarme ont étudié les migrations de centaines de thons équipés de balises. Ils ont découvert que les thons se reproduisant dans l’Ouest sont davantage menacés. Sans doute à cause des nombreuses méthodes de pêche, qui vont de l’hameçon au harpon en passant par l’explosif, sans oublier les fermes marines où les poissons capturés au filet sont engraissés et vendus vivants sur le marché japonais.
Barbara Block, biologiste du Tuna Research and Conservation Center de l’université de Stanford, en Californie, auteur d’une étude publiée dans la revue Nature du 28 avril, déplore la disparition prochaine de ce poisson. Une observation de plusieurs années révèle l’existence de deux populations distinctes de bluefin qui se reproduisent dans le golfe du Mexique et en Méditerranée, toujours au même endroit. Détail important : les thons, en quête de nourriture, se dispersent dans l’Atlantique et finissent donc par se mélanger, rendant caduque la ligne de séparation traditionnelle de ces deux zones, artificiellement placée à 45 ° de longitude ouest. De fait, on ne peut plus s’appuyer sur un système de gestion des stocks qui suppose que les thons nés à un endroit n’en bougent plus. Des quotas trop importants, déterminés il y a deux décennies par les pays qui pêchent à l’est de cette ligne, ont également contribué à détériorer les réserves outre-Atlantique.
Selon Masanori Miyahara, président de l’International Commission for the Conservation of Atlantic Tunas, il faut changer de méthode pour gérer les stocks réels. « Nous avons cru trop longtemps à une hypothèse qui se révèle fausse, affirme-t-il. Les mesures appliquées pendant vingt-cinq ans n’ont pas causé d’amélioration notable dans la reproduction du thon outre- Atlantique. » En fait, on constate que les stocks ne se sont jamais reconstitués…
La solution aujourd’hui ? Créer une troisième zone de « management » des stocks de bluefin, entre 35 ° et 50 ° de longitude ouest, soumise à un très faible quota. Une mesure à prendre d’urgence pour éviter que la surpêche ne provoque définitivement l’extinction de ce « foie gras des mers », tant prisé des Japonais…

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