Les six paradoxes du traité de non-prolifération

L’accord de 1968, obsolète et inefficace, méritait une véritable refonte. Mais, après un mois de travaux, la conférence ad hoc des Nations unies s’est achevée le 27 mai… sans résultat.

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

L’impact du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) reste sans égal comparé à tous les autres accords de contrôle des armements connus dans l’Histoire. Pourtant, certains s’inquiètent d’une érosion de son efficacité, qui pourrait entraîner une relance de la prolifération. Les diplomates qui, au mois de mai à New York, avaient entrepris de le réviser, se trouvaient confrontés à six paradoxes.
Premièrement, c’est la chronologie qui dicte la définition de la puissance nucléaire : il s’agit d’un pays qui a fabriqué et fait exploser un engin nucléaire avant le 1er janvier 1967. L’Inde, le Pakistan et Israël peuvent toujours expérimenter, déployer et même utiliser des armes nucléaires, cela n’en fera pas des « puissances nucléaires » au sens du traité. À l’inverse – hypothèse d’école -, même si le Royaume-Uni et la France démantelaient totalement leurs installations et détruisaient l’intégralité de leur arsenal nucléaire, elles n’en resteraient pas moins des puissances nucléaires.
Une approche qu’on peut qualifier de totalement fantaisiste alors qu’elle concerne un sujet d’une extrême gravité. De plus, comment réviser un document signé par 188 pays sans risquer de déclencher des conséquences imprévisibles ?
En deuxième lieu, les traités multilatéraux comme celui-ci se limitent à réglementer et surveiller les activités des États. Pourtant, la menace émane désormais aussi – et surtout – d’acteurs non étatiques. Ainsi, les trafics clandestins du Pakistanais Abdul Qadeer Khan prouvent le degré de porosité des frontières entre États voyous et individus louches. Cette situation nouvelle exige l’élaboration d’un ensemble de normes solides et crédibles, complémentaires du traité de non-prolifération, ce qui permettra d’exercer un contrôle efficace sur les groupes terroristes susceptibles de se procurer des armes nucléaires.
Troisièmement, les cas d’Israël, de l’Inde, de l’Iran, de la Libye, du Pakistan et de la Corée du Nord montrent que nous sommes incapables de nous entendre sur une réponse appropriée dans le cadre du traité, alors que le problème se pose depuis des décennies. Il existe en effet des lacunes importantes dans les dispositions légales et institutionnelles prévues pour combattre les menaces d’aujourd’hui. Il est impossible de priver les tyrans de leurs armes nucléaires après qu’ils se les sont procurées et les ont expérimentées. L’ONU semble même impuissante à le faire préventivement : le Conseil de sécurité a le plus grand mal à organiser un débat sur la menace nord-coréenne. Devant cette faillite des institutions internationales, les États essaieront forcément d’agir par eux-mêmes, soit unilatéralement, soit de concert avec leurs alliés. Au cas où une telle action se révélerait stratégiquement nécessaire et moralement justifiée alors qu’elle ne serait pas autorisée du point de vue juridique, on ne pourrait que constater les carences du cadre actuel des lois et de la réglementation internationales… Sans préjuger des conséquences d’une opération militaire préventive !
La quatrième difficulté découle du regroupement dans la même catégorie des armes biologiques, chimiques et nucléaires. Or elles diffèrent par leurs caractéristiques techniques, par le degré de facilité avec lequel on peut se les procurer et les développer, et par leurs capacités de destruction massive. Les réunir dans un groupe unique fausse l’analyse et conduit à des réponses inadéquates. Sans compter le danger du flou qui entoure désormais la finalité des moyens militaires de ce type. Le tabou de l’utilisation des armes nucléaires reste aujourd’hui si fort qu’on imagine difficilement que celles-ci puissent être employées, sinon pour riposter à une attaque nucléaire ennemie. Il existe de nos jours une tendance à redéfinir leur doctrine d’usage en l’élargissant à une parade contre des armes de destruction massive de toute nature. Ce qui affaiblit le tabou nucléaire et permet aux grandes puissances de dissimuler le fait que ce sont elles qui possèdent l’arsenal le plus redoutable. De plus, si l’on admet que des armes nucléaires pourraient être utilisées pour contrer des armes bactériologiques ou chimiques, comment refuser cette capacité nucléaire à l’Iran, déjà victime de ces dernières ?
Cinquièmement, le club des puissances nucléaires prône l’abstinence nucléaire, mais sans la pratiquer. Il s’agit d’un défi pour l’Histoire, pour le sens commun et pour la logique, de croire qu’un groupe de cinq pays, dont les membres sont cooptés, puisse conserver le monopole permanent des armes les plus destructrices du monde. Aucun des pays possesseurs d’armes lors de la signature du traité de non-prolifération en 1968 (ratifié en 1970) n’y a encore renoncé. Leur comportement alimente les doléances et le ressentiment des autres.
Le pays qui s’est doté des armes nucléaires les plus puissantes du monde a-t-il le droit d’utiliser sa force militaire pour empêcher leur acquisition par d’autres ? Les logiques du désarmement nucléaire et de la non-prolifération sont inséparables. D’où l’axiome de la non-prolifération : tant qu’un pays aura des armes nucléaires, d’autres, y compris des groupes terroristes, feront tout pour s’en procurer.
Le dernier paradoxe concerne la contradiction entre la rhétorique et l’exemple. Il est impossible de convaincre quiconque que les armes nucléaires ne servent à rien quand la preuve du contraire est établie par les perfectionnements apportés à ces armes, leur miniaturisation, les nouvelles doctrines inventées pour justifier leur usage et l’abaissement du seuil d’utilisation. Tout cela affaiblit l’interdit et fragilise les barrières qui s’opposent à la prolifération.
Ces paradoxes sont-ils assez peu nombreux et assez superficiels pour qu’on s’en accommode grâce à quelques petits arrangements directement dans le cadre du traité ? Ou bien posent-ils des problèmes assez graves pour qu’il faille faire une croix sur le texte et en préparer un autre ? L’échec de la conférence laisse ces questions en suspens. Sans doute faudra-t-il attendre la prochaine session de la conférence sur le TNP qui se réunira comme prévu… dans cinq ans.

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