Coronavirus : « Au Cameroun, il y a un manque de discipline »

Pourquoi le Cameroun est-il le troisième pays d’Afrique subsaharienne le plus touché par le Covid-19 ? L’épidémiologiste Yap Boum II décrypte la situation.

L’épidémiologiste camerounais Yap Boum II © Lynn photo

L’épidémiologiste camerounais Yap Boum II © Lynn photo

Publié le 18 mai 2020 Lecture : 4 minutes.

Enseignant la microbiologie dans les facultés de Yaoundé et de Douala et à l’université de Virginie (États-Unis) et directeur d’Épicentre Afrique, le centre de recherche de Médecins sans frontières à Yaoundé, le professeur Yap Boum II est en première ligne depuis le début de la pandémie de coronavirus.

Alors que le gouvernement camerounais a récemment assoupli les mesures restrictives de lutte contre l’épidémie, rouvrant notamment les bars après 18 heures et levant les limitations sur le nombre de passagers dans les transports en commun, cet épidémiologiste pointe du doigt une certaine négligence de la part de la population.

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Jeune Afrique : Actuellement, le Cameroun est le deuxième pays d’Afrique centrale qui enregistre le plus de décès dus au Covid-19, le troisième pour toute l’Afrique subsaharienne. Quel est exactement le nombre de cas confirmés, et dans quelles régions du pays ?

Yap Boum II : Au moment où nous parlons, nous enregistrons plus de 2 000 cas de Covid-19 confirmés par tests en laboratoire. Les dix régions du pays sont touchées par cette pandémie. Celles du Centre, qui incluent Yaoundé, la capitale politique, et celles du Littoral, avec Douala, la capitale économique, sont les plus touchées, suivies de la région de l’Ouest.

D’après vous, pourquoi le Cameroun fait-il partie des pays les plus touchés par le virus ?

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Deux facteurs majeurs jouent un rôle prépondérant dans l’évolution de la pandémie dans un pays. Tout d’abord, le nombre de cas importés. Avant la fermeture des frontières camerounaises, près de 2 000 personnes arrivaient chaque jour dans le pays, dont une majorité à Douala. Cet important afflux de voyageurs en provenance d’Europe, épicentre du Covid-19 à ce moment-là, a favorisé l’émergence du virus au Cameroun.

Le second facteur est la mise en place de mesures pour contrôler la pandémie une fois qu’elle est installée sur le territoire, et surtout le respect de ces mesures. Malgré la distanciation sociale et le confinement des personnes en provenance d’Europe, nous avons observé un manque de discipline inexplicable.

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Des prostituées ont même été retrouvées dans des hôtels réservés aux personnes de retour d’Europe, supposées être en quarantaine. Et certains ont fui les lieux de confinement et ont ainsi pu transmettre le virus.

Quelles mesures le gouvernement a-t-il mis en place afin de détecter les cas de Covid-19 ?

En plus des vingt mesures barrières prises par le gouvernement camerounais, la décision la plus importante à mon avis est celle qui émane du ministère de la Santé publique et du Centre des opérations d’urgences de santé publique (COUSP) visant à décentraliser la réponse au Covid-19.

Des centres sont mis en place dans toutes les régions pour dépister les cas.

Ainsi, chaque région aura une autonomie concernant l’identification des cas dans la communauté ou via le numéro vert 1510, les investigations, le dépistage en laboratoire, le suivi des cas-contacts ainsi que la prise en charge des patients dans les centres d’isolement ou dans les hôpitaux, en fonction de leur état clinique.

Pour y parvenir, des centres de dépistage sont mis en place dans les régions. Ils sont d’ailleurs déjà fonctionnels dans le Centre, le Littoral, le Nord et l’Ouest. L’objectif est le dépistage actif des cas au niveau le plus bas de la pyramide sanitaire et quel que soit l’endroit.

Le gouverneur de la région du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique, lors de sa tournée d'inspection du dispositif de riposte au Covid-19. © Ministère camerounais de la Santé

Le gouverneur de la région du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique, lors de sa tournée d'inspection du dispositif de riposte au Covid-19. © Ministère camerounais de la Santé

Quelles stratégies ont-elles été mises en place afin de limiter la propagation du virus ?

En pratique, le gouvernement camerounais avait mis en place vingt mesures, dont la fermeture des frontières, des écoles, des lieux de culte et des bars, ainsi que le port systématique du masque.

Dès le début, une Unité de recherche opérationnelle a été créée au sein du COUSP pour harmoniser la qualité de la réponse. Un appel à projets de recherche a été lancé, et près de cinquante protocoles ont été évalués. Des projets d’essais cliniques, d’évaluation de tests diagnostiques, d’études anthropologiques ou proposant l’usage de nouvelles technologies ont été soumis.

Par ailleurs, un conseil scientifique a récemment été créé pour appuyer l’action gouvernementale. Il déterminera quels sont les projets de recherche prioritaires.

Le défi de la décentralisation en situation de crise sera d’équiper les formations sanitaires de dispositifs de tri efficaces leur permettant, d’une part, de protéger le personnel soignant, et, d’autre part, d’assurer la détection des patients à risque et leur transfert vers les structures de prise en charge définies par le ministère de la Santé.

En Afrique du Sud, certains scientifiques prévoient un pic de l’épidémie pour le mois de septembre. Sur quelles données se fondent-ils ?

Des chercheurs ont montré que la survenue du pic pandémique dans chaque pays dépend de l’intensité des mesures de distanciation sociale et de confinement (quand il a lieu). L’Afrique du Sud a récemment étendu à cinq semaines les mesures de confinement, et cela a une conséquence directe sur la manifestation de ce pic. Ce report permet aux pays de renforcer les capacités de leur système de santé (personnel médical, lits d’hôpital et de soins intensifs, respirateurs, etc.).

Les scientifiques dont vous faites mention indiquent par exemple que l’Afrique du Sud dispose aujourd’hui de moins de la moitié des respirateurs qu’il lui faudrait. Et alors qu’on estime que le pays aura besoin de 14 909 lits de soins intensifs en septembre 2020, elle n’en a aujourd’hui que le tiers.

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