Les leçons du 7 juillet
Les quatre attentats de Londres étaient bien des opérationssuicides commanditées par al-Qaïda, une première en Europe. Quant aux kamikazes, ils étaient tous de jeunes sujetsbritanniques au-dessus de tout soupçon. Enquête et analyses.
Les 1 500 agents affectés à l’enquête sur les attentats qui ont frappé, le 7 juillet, trois rames de métro et un bus londoniens ont dû « éplucher » les enregistrements vidéo des 2 500 caméras de surveillance qui maillent la capitale britannique, à la recherche du moindre indice pouvant mener aux poseurs de bombes. Et, comme c’est souvent le cas, l’enquête s’emballe après un fait anodin. En l’occurrence, une plainte émanant de Mohamed Tanweer, un Britannique d’origine pakistanaise, résidant à Beeston, dans la grande banlieue de Leeds. Il signalait la disparition de son fils, Shahzad, une heure à peine après la première explosion. Mohamed Tanweer a précisé que son fils s’était rendu à Londres en compagnie de trois amis…
De fil en aiguille, enregistrements vidéo aidant, les premières investigations de Scotland Yard établissent que les quatre attaques ont été commises par des kamikazes, une première en Europe. Plus grave : ces derniers sont des sujets de Sa Gracieuse Majesté. Outre Shahzad Tanweer, 22 ans, il s’agit de Hassib Mir Hussein, 18 ans, Mohamed Saddiq Khan et Lindsay Jermalne, tous deux trentenaires. La Grande-Bretagne est sous le choc. Les monstres qui se sont immolés en donnant la mort à plus d’une cinquantaine personnes, dont le seul tort était d’avoir pris, ce jour-là, un mode de transport collectif, ne sont ni Palestiniens ni Algériens, mais bien des Britanniques, nés dans le Yorkshire, ayant comme eux un faible pour le cricket, le foot ou le Fish and chips. Incrédule, l’opinion publique se pose des questions. Les limiers de Scotland Yard s’en posent d’autres : D’où proviennent les explosifs ? La cellule se réduit-elle aux seuls kamikazes ? Comment remonter jusqu’aux commanditaires ?
Patiemment, les services de sir Ian Blair, patron de Scotland Yard, reconstituent le film des événements de ce tragique 7/7. Trois des quatre kamikazes habitaient dans le quartier de Beeston, à Leeds, où se concentre une grande communauté musulmane sud-asiatique. Le quatrième, un Britannique d’origine jamaïquaine, Lindsay Jermalne, père d’une fille de 8 mois, résidait plus au sud, à Lutton. Un premier rendez-vous a lieu le jeudi 7 juillet, dans la gare de cette ville, à 7 h 58. Ensuite, les quatre hommes prennent le Thameslink pour se rendre à Londres, où ils arrivent à King’s Cross, à 8 h 30. Un enquêteur qui a visionné le film de la caméra de surveillance ayant enregistré cette rencontre témoigne : « Ils donnaient l’impression de vacanciers en train de se raconter les péripéties de leur congé. » En fait, il s’agissait d’une dernière discussion de coordination avant de se séparer. Le projet était de frapper Londres dans ses quatre points cardinaux. Chacun d’eux prendra une direction. À Saddiq Khan, un enseignant auxiliaire à Leeds, échoit l’est de la capitale. Il prend la direction Edgware Road Station. À 8 h 50, il actionne sa bombe qui tue 7 personnes. Shahzad Tanweer avait pris la direction opposée, vers Liverpool Street. Il se fait sauter à Aldgate tuant 12 voyageurs. Lindsay Jermalne avait été affecté au sud. L’explosion retentit à Russel Square : on dénombrera 22 victimes. Reste Hassib Mir Hussein, le plus jeune du groupe. Il devait frapper Londres au nord. Or, ce jour-là, la ligne nord est fermée pour cause de travaux. Se retrouvant tout seul, il improvise. Ne connaissant pas la capitale, il quitte le sous-terrain du métro pour remonter à la surface et prend, au hasard, un bus. C’est la ligne 30. Il est 9 h 47. Une heure s’est écoulée depuis les trois premières explosions. Un survivant du bus de la ligne 30 se souvient de ce jeune homme nerveux au visage poupin, qui ne cessait de regarder sa montre et son sac à dos, couleur kaki. Hassib Mir Hussein finit par actionner sa bombe à 9 h 49. Il fera 13 victimes, toutes déchiquetées par l’explosion.
Les spécialistes de Scotland Yard sont catégoriques : les bombes n’étaient pas sophistiquées et pesaient moins de 5 kg. Provenance des explosifs : probablement un stock militaire des Balkans. Plus précisément de Bosnie, où al-Qaïda dispose de nombreux relais parmi les moudjahidine arabes bosniaques.
Les quatre kamikazes ne figuraient dans aucun fichier de Scotland Yard, et la fréquence de leurs voyages au Pakistan ne soulevait aucune suspicion particulière, vu leurs origines. Cependant, leurs séjours pakistanais n’ont jamais été suffisamment longs pour donner à penser qu’ils y auraient subi une formation militaire leur permettant de monter une telle opération, qui nécessite maîtrise et savoir-faire. Conclusion : de nombreux complices courent toujours. Sauf l’artificier présumé du groupe – un chimiste égyptien établi, lui aussi, dans le Yorkshire -, arrêté le 15 juillet au Caire. Autre suspect recherché par la police londonienne : un Pakistanais, arrivé à Londres à la mi-mai, et reparti la veille des attentats. Il serait le cerveau des attaques du 7/7 et le principal lien avec la Brigade Abou Hafs al-Misri, cellule d’al-Qaïda qui a revendiqué les attentats et qui est responsable des attaques contre des intérêts britanniques à Istanbul, en janvier 2004.
La lecture attentive des sites Internet islamistes est souvent intéressante. Les services secrets norvégiens avaient signalé, en décembre 2003, à leurs partenaires européens et américains une feuille de route esquissée par Oussama Ben Laden. Trois mois avant les attentats de Madrid, le milliardaire saoudien déchu de sa nationalité y évoquait le timing idéal pour frapper l’Espagne, alors allié de Washington en Irak : les législatives de mars 2004. Quant à Londres, elle figurait parmi les cibles privilégiées du djihadiste en chef. Dans cette feuille de route, Ben Laden préconise que les kamikazes laissent des traces ou des indices sur leur identité pour que leur action soit « bénie de Dieu ». Les quatre kamikazes de Londres avaient conservé sur eux leur permis de conduire et leur carte de crédit. Comme s’ils tenaient à être identifiés et que nul doute ne persiste sur la paternité de leur acte.
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