Culture d’entreprise et raison d’Etat

Le chef de l’État surprend par son style et ses méthodes. Industriel « égaré » en politique, ce libéral mise sur des réformes économiques accélérées pour sortir la Grande Île du sous-développement. Quelles sont ses chances de réussite ?

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Bilan contrasté pour Madagascar SA. Alors que Marc Ravalomanana a toujours dit qu’il souhaitait diriger la Grande Île comme une entreprise privée, ce capitaine d’industrie devenu chef d’État affiche des résultats mitigés. Trois ans après son arrivée aux affaires, l’homme a su remettre le pays au travail à l’issue de six mois de crise politique et économique. Le Chairman ne jure plus que par le management et l’investissement privé. Quant à son Premier ministre, il a imposé des business plans à chaque membre de son gouvernement… avec obligation de résultats ! Bref, l’administration a dû se convertir du jour au lendemain à la « culture de la performance », avec plus ou moins de bonne volonté. Et plus ou moins de réussite.
À la suite de la crise institutionnelle consécutive à la présidentielle de décembre 2001, le pays a connu une chute de son PIB de près de 13 % en 2002. Depuis, il a retrouvé un rythme de croissance soutenu. Assuré du soutien de la communauté internationale, le nouveau régime a su s’aménager une confortable assise populaire en procédant à des élections locales et législatives. Parallèlement, il a soigné ses relations avec les bailleurs de fonds, obtenant 2,4 milliards de dollars pour relancer les grands programmes de développement. Grâce à cette manne, depuis juillet 2002, près de 1 500 kilomètres de routes nationales ont été réhabilités, 4 millions d’enfants ont été scolarisés et la couverture vaccinale du pays s’est améliorée. Même si l’administration malgache a parfois du mal à écluser les décaissements de ses partenaires, la coopération entre Antananarivo et les institutions financières de Bretton Woods est au beau fixe. D’ailleurs, Madagascar a bénéficié en juin dernier d’un effacement de 100 % de sa dette multilatérale, comme dix-sept autres pays pauvres très endettés (PPTE). Parallèlement, la Grande Île, qui entretient de bonnes relations avec les États-Unis, la France et l’Allemagne, bénéficie de traitements de faveur sur le plan bilatéral.
Bref, le régime de Ravalomanana jouit de la sollicitude de ses partenaires, à commencer par celle du FMI : le 7 juin dernier, la directrice adjointe du Fonds, Anne Krueger, a chaudement félicité le chef de l’État pour les progrès macroéconomiques réalisés depuis 2002. Les aides extérieures ont permis au pays d’amortir le choc d’une conjoncture particulièrement difficile. « Au cours de l’année écoulée, Madagascar a subi deux cyclones ainsi qu’une forte hausse des prix du pétrole et du riz, explique le ministre de l’Économie et des Finances, Benjamin Radavidson Andriamparany. Ces événements se sont traduits par une forte poussée inflationniste. Le taux d’inflation a atteint 15 %, et notre monnaie s’est fortement dépréciée au cours de l’année 2004. » Conséquence : le revenu par habitant a chuté à 268 dollars l’an dernier, contre 338 en 2003.
Ce sont les populations des villes qui ont le plus souffert de cette brutale hausse des prix. En revanche, fait unique dans l’histoire de l’île, les campagnes semblent avoir profité de l’envolée du prix du riz, aliment de base à Madagascar. « Grâce à l’amélioration des infrastructures de communication, les habitants des campagnes ont été informés du renchérissement des produits de première nécessité, explique un expert agricole. Les paysans l’ont répercuté sur leurs récoltes, qu’ils ont pu acheminer vers les centres urbains desservis par un réseau de pistes rurales rénové. » Alors que le colonisateur, puis les différents régimes qu’a connus le pays depuis son indépendance ont maintenu les campagnes dans un perpétuel isolement, c’est peut-être son engagement en faveur de la circulation des personnes et des biens que l’on retiendra du premier mandat de Ravalomanana.
Sur le plan diplomatique, le chef de l’État s’est transformé en véritable VRP de la Grande Île, multipliant les déplacements en Europe, au Japon et en Amérique du Nord. À tel point que ses concitoyens commencent à juger ses absences un peu longues. Mais, pour ses collaborateurs, les déplacements à répétition du chef de l’État visent à trouver de nouveaux partenaires susceptibles d’accélérer les réformes en cours sur la Grande Île. Ainsi, dans le cadre du processus de privatisation, le chemin de fer Tana-Toamasina a été mis en concession en janvier 2004 au profit de la société Madarail (groupe Bolloré). Dans le domaine agro-industriel, la gestion des unités de production sucrière de Sirama a été confiée à des opérateurs français et mauriciens, et la compagnie cotonnière Hasyma a été reprise par son actionnaire majoritaire, le groupe français Dagris, en septembre 2004. Depuis septembre 2002, le destin de la compagnie aérienne Air Madagascar est entre les mains de l’allemand Lufthansa Consulting pour une durée de quatre ans. Enfin, en février 2005, la gestion de la Jirama, le distributeur public d’eau et d’électricité, a été confiée à l’allemand Lahmeyer pour deux ans. Celui-ci a pour mission d’améliorer la gestion de l’entreprise avant privatisation. Pour cette dernière opération, les autorités ont préféré l’offre de la société allemande à celle de la Générale des eaux, sa concurrente française. Mais les délestages à répétition qu’ont subis les principales villes malgaches au cours du mois de juin ont provoqué la grogne des usagers. Autre sujet de mécontentement, les grands travaux financés par l’État, qui suscitent des frustrations dans certaines provinces du littoral. À Tamatave ou à Diego, par exemple, on accuse le gouvernement de privilégier les hautes terres, dont est originaire le président, au détriment des zones côtières, où l’on attend toujours l’effet Ravalomanana.
Justifiées ou non, ces frustrations sont exploitées par les principales formations d’opposition, qui tentent laborieusement de faire cause commune. Animé notamment par l’ex-président Albert Zafy, le front anti-Ravalomanana peine en effet à trouver un chef de file suffisamment consensuel pour offrir une alternative crédible à l’actuel chef de l’État. Quant aux dignitaires en exil, ils ne sont pas plus performants. Le président sortant, Didier Ratsiraka, a été condamné le 6 août 2003 par contumace à dix ans de travaux forcés. Reconnu coupable de détournements de deniers publics pour une valeur de près de 50 milliards de FMG (7 millions d’euros), l’ex-président semble définitivement hors jeu, puisqu’il a été frappé d’une peine d’inéligibilité. Parmi ses lieutenants, on prête des ambitions à l’ancien vice-Premier ministre, Pierrot Rajaonarivelo, actuellement exilé en France. Mais celui que l’on donne pour le candidat officiel de l’Arema (Action pour la renaissance de Madagascar) à la présidentielle de 2007 a été condamné à trois ans de prison par contumace, ce qui lui interdit d’entrer en lice.
Faute d’adversaires crédibles, Marc Ravalomanana peut envisager avec sérénité les dix-huit mois qui lui restent à parcourir avant la prochaine présidentielle. Malgré l’absence de menaces réelles, le climat politique demeure délétère. Alors que l’opposition paraît privilégier l’invective à l’argumentation constructive, les dirigeants actuels semblent crispés, suspectant les barons de l’ancien régime de chercher à déstabiliser le pouvoir en place. Non sans une pointe de démagogie, le président de la République a d’ailleurs accusé certains karanas (Indo-Pakistanais installés à Madagascar depuis plusieurs générations) de financer ces actions commanditées depuis l’extérieur. Au risque d’attiser la vindicte populaire à l’encontre de cette communauté. Pour sa part, le Premier ministre Jacques Sylla se veut rassurant : « Une petite minorité s’agite et cela me semble naturel : une crise de l’ampleur de celle que nous avons vécue en 2002 ne se résorbe que dans le temps. »
La question est de savoir si Tiako’i Madagasikara (« J’aime Madagascar », en malgache), le parti de Ravalomanana, pourra compter sur ses alliés de 2002 pour repasser en 2007. C’est sans doute l’une des principales inconnues du scrutin à venir. En fait, ces alliances stratégiques dépendront beaucoup de la popularité du chef de l’État sortant à la veille du scrutin. Dans cette perspective, la conjoncture économique – et plus particulièrement l’évolution du prix du riz – sera déterminante…

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