Ces étudiants qui préfèrent la France

Confrontés à la crise de croissance des universités, de plus en plus de jeunes partent à l’étranger, notamment dans l’Hexagone. Là, pour eux, la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

L’université tunisienne, qui célébrera dans deux ans son cinquantième anniversaire – elle a vu le jour en 1957, un an après l’indépendance du pays -, traverse une crise de croissance. Principale cause : l’« explosion » des effectifs, conséquence du baby-boom des années 1980. Ainsi le nombre d’étudiants a-t-il été multiplié par trois en dix ans, passant de 112 000 en 1995 à 321 000 en 2005.
Pour faire face à cette explosion, le pays a dû construire de nombreux établissements, dont le nombre s’élève aujourd’hui à 162, disséminés dans tout le pays. Il a dû aussi engager beaucoup d’enseignants, qui ont vu leur nombre passer, durant la même période, de 5 500 à 16 600. Le budget du ministère de l’Enseignement supérieur a augmenté en conséquence, passant de 131 millions de dinars (1 dinar = 0,60 euro) en 1990 à 652 millions en 2005. Ce montant représente, aux prix constants, 1,7 % du PIB et 5 % du budget de l’État.
En dépit de ce gigantesque effort, l’université est malade. Principaux symptômes : l’encombrement des amphis, la grogne des professeurs (voir J.A.I. n° 2322) et la dépréciation des diplômes (plus de 40 000 en juin 2004), dont la crédibilité est de plus en plus mise en doute par les employeurs. Parallèlement, les 18 universités privées du pays ne brillent pas, sauf quelques exceptions, par la qualité de leurs enseignements.
Pour pouvoir poursuivre leurs études dans une filière de leur choix et s’assurer une formation de meilleure qualité, les étudiants tunisiens sont de plus en plus nombreux à frapper aux portes des universités étrangères. Quant aux parents, qu’ils soient aisés ou appartenant à la classe moyenne, ils n’hésitent pas à s’endetter pour trouver les sommes nécessaires au financement des études de leurs enfants. Les plus fortunés optent pour le Canada – destination très prisée, car, à la fin de leurs études, les étudiants se voient souvent proposer la nationalité canadienne – et, à un degré moindre, surtout depuis le 11 Septembre, pour les États-Unis. D’autres choisissent l’Allemagne, la Russie, l’Ukraine et même la Roumanie, pour quelques filières spécifiques, comme la pharmacie ou la chirurgie dentaire. Mais, affinités culturelles obligent, c’est la France qui reste la destination principale (voir encadré).
Selon Yves-Aubin de la Messuzière, ambassadeur de France en Tunisie, le nombre des étudiants tunisiens inscrits dans les établissements relevant du ministère français de l’Éducation nationale pour l’année universitaire écoulée a atteint 9 000*, contre moins de 5 000 en 1995, sans compter les étudiants inscrits dans les universités privées. Près de la moitié suivent des études de troisième cycle. Un étudiant sur neuf est boursier de l’État tunisien, soit 1 051 (sur un total de 1 447 boursiers dans les universités étrangères). Le gouvernement français, qui cherche à maintenir sa politique d’accueil des futures élites francophones, a accordé, pour sa part, en 2004, 370 bourses à autant d’étudiants tunisiens. Il a, bien sûr, choisi les meilleurs dans leurs disciplines respectives. Par ailleurs, la même année, les services du consulat français en Tunisie ont délivré plus de 2 600 visas long séjour à de nouveaux étudiants.
Pour organiser ce flux, appelé à s’intensifier au cours des prochaines années – le « surbooking » dans les universités locales devrait se poursuivre, selon les prévisions officielles, au-delà de 2010 -, et faciliter les démarches pour l’obtention du visa étudiant, Paris a mis en place, au début de juin dernier, un nouveau service, le Centre pour les études en France (CEF), et un site Internet www.ceftunisie.org. Ce dispositif, dont la Tunisie fut l’un des premiers pays bénéficiaires – il a été étendu à d’autres le 22 juin -, vise à accompagner les étudiants dans l’élaboration de leur projet d’études, le choix de leur future université et l’accomplissement des procédures de préinscription. Tout en facilitant les démarches pour l’obtention de visas long séjour, il permet aussi à l’administration française de contrôler en amont l’authenticité des documents présentés par les postulants. Autre objectif assigné à ce mécanisme : réduire, grâce à une meilleure information et orientation des étudiants, le taux de refus de visas pour études, lequel a atteint, en 2004, 27 %.
Ainsi, depuis sa mise en service, le 1er juin, le site www.ceftunisie.org a-t-il enregistré une fréquentation dépassant largement les prévisions de ses promoteurs. Après une courte période d’essai, le passage par ce service en ligne est devenu, le 27 juin, obligatoire pour toute demande de visa étudiant à partir de la Tunisie.
Cependant, pour les 9 000 étudiants tunisiens poursuivant leurs études en France, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille. S’ils ont le privilège de bénéficier d’un système de formation parmi les plus performants au monde – même s’il est souvent décrié par les Français eux-mêmes – et d’enrichir leur expérience humaine au contact d’une vie académique cosmopolite, ils doivent cravacher – et, surtout, se serrer la ceinture – pour pouvoir achever leurs études dans les meilleurs délais et ne pas ruiner leurs parents.
« Les miens déboursent, chaque année, pour payer mes études, l’équivalent de 7 000 dinars (soit environ 4 300 euros), montant maximal dont le gouvernement tunisien autorise le transfert par étudiant et par an. Je dois être à la hauteur de ce sacrifice », dit Majdi, 20 ans, arrivé à Paris il y a un an pour suivre des études de mathématiques. Comment y parvenir ? Réponse du jeune homme : « En considérant les frais d’études comme un investissement, qui doit être rentabilisé. On n’est pas ici pour s’amuser, mais pour réaliser un objectif académique précis. »
Adel, 22 ans, inscrit en troisième année (licence) de droit, estime pour sa part que la somme autorisée par le gouvernement ne suffit pas pour payer le loyer, acheter des livres, se nourrir, se déplacer, couvrir les autres frais… Face à la cherté de la vie en France et au glissement continu du dinar face à l’euro, l’État a décidé de porter cette somme à 10 000 dinars (6 500 euros). « C’est un peu mieux, mais toujours insuffisant », commente le jeune homme, qui avoue recevoir de temps en temps des sommes en euros de certains compatriotes résidant en France que ses parents remboursent en dinars dans le pays.
Pour joindre les deux bouts et se payer quelques loisirs, Majdi travaille de façon occasionnelle, notamment comme vendeur de journaux. Mais là aussi, les choses sont compliquées. Car, pour pouvoir travailler, les étudiants doivent se prévaloir d’une autorisation spéciale délivrée par l’Organisation de la main-d’oeuvre étrangère. Or cet organisme exige de l’étudiant qu’il ait déjà un contrat de travail et qu’il ne travaille pas plus que 18 heures par semaine. Difficile dans ces conditions de trouver des employeurs qui acceptent de faire des contrats à des étudiants étrangers.
Amine, 23 ans, étudiant en médecine, évoque un autre problème. « Pour trouver un studio pour la rentrée de septembre, j’ai effectué avec mon père un voyage à Paris dès le mois de juillet. Pendant près de trois semaines, nous avons couru d’annonce en annonce, en vain. Non seulement les studios libres sont rares et les loyers trop chers, mais dès que vous dévoilez votre identité, vous vous entendez dire que le logement proposé  »vient juste d’être loué ». »
Comptent-ils, à la fin de leurs études, rester en France ou rentrer au pays ? Les trois témoins hésitent à répondre. Tout en admettant que la vie en Tunisie est plus agréable et, surtout, plus facile, ils disent craindre les conséquences d’un retour raté. « Entre les ambitions personnelles et la dolce vita tunisienne, le choix est certes difficile. Mais nous avons chacun notre petite idée sur la question », conclut Majdi.

* Selon les statistiques du ministère tunisien de l’Enseignement supérieur, il y aurait seulement 5 500 étudiants tunisiens en France. La différence entre les deux chiffres s’explique : les statistiques françaises incluent les étudiants tunisiens dont les parents résident en France.

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