Bas les armes, haut les urnes

Les troupes loyalistes et l’ex-rébellion ont finalement adopté le programme de démobilisation des combattants. Un accord qui devrait inciter à l’optimisme, mais dont l’application reste soumise à de nombreux obstacles.

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Sur le papier, tout est bouclé depuis le 9 juillet à Yamoussoukro et devrait marcher aussi bien qu’un défilé militaire : loyalistes et troupes des Forces nouvelles (ex-rébellion) se sont entendus sur le calendrier du programme de désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR). Après trois ans de cessez-le-feu régulièrement rompus, d’accords non respectés, d’échéances de dépôt des armes reportées, c’est la première fois que les chefs d’état-major des deux camps – le général Philippe Mangou pour les troupes régulières et le colonel Soumaïla Bakayoko pour celles de l’ex-rébellion – approuvent le processus de désarmement dans son intégralité. Les délais sont serrés, mais, jamais autant qu’aujourd’hui, ce volet de la crise politico-militaire ivoirienne n’a été aussi proche d’une solution.
Les opérations doivent commencer le 15 juillet avec l’amendement effectif des lois sur la Commission électorale indépendante (CEI), le financement des partis politiques, la nationalité, l’identification des populations, la Commission des droits de l’homme, la presse écrite et la communication audiovisuelle ; la réhabilitation de certains sites d’accueil comme celui de Bondoukou (est), Bouna (nord-est), Guiglo-Daloa (centre-ouest), Man (ouest), Séguéla (nord-ouest) doit être bouclée le 30 juillet pour accueillir quelque 15 500 hommes. L’accueil des combattants pour un préregroupement et une identification interviendra dès le 31. Le 7 août, la dernière main sera mise sur les sites de Bouaké – agglomération du centre du pays et fief de la rébellion – et de Yamoussoukro, d’une capacité d’accueil total de 22 000 combattants. Une semaine plus tard, Korhogo (nord), San Pedro (sud-ouest) et Abidjan seront fin prêts pour abriter 15 800 hommes. Le démantèlement des milices proches du pouvoir est prévu pour être effectif le 20 août. Le désarmement et la démobilisation des troupes doivent être achevés le 3 octobre et concernent quelque 42 000 ex-rebelles, 5 500 soldats gouvernementaux ainsi que, bien sûr, les miliciens estimés entre 2 000 et 3 000.
À cette même date commencera la mise en place des nouvelles forces de défense et de sécurité. Elles rassembleront les soldats des deux camps qui faisaient déjà partie intégrante des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) avant l’éclatement de la rébellion, le 19 septembre 2002. Pour couper court aux blocages de ses partisans à l’Assemblée nationale peu enclins à adopter les lois qui vont de pair avec le DDR, le président Laurent Gbagbo a décidé de légiférer par décrets et ordonnances, comme suggéré noir sur blanc dans la déclaration de Pretoria signée le 29 juin. Il avait indiqué à ses pairs réunis au Sommet de l’Union africaine à Syrte (les 4 et 5 juillet) qu’il procéderait ainsi. Et même si certains dans son propre camp parlent déjà de « dictature légale », il réitérait quelques jours plus tard ses intentions à Louise Arbour, la commissaire des Nations unies chargée des droits de l’homme, ainsi qu’en Conseil des ministres.
Gbagbo s’y est résolu devant les tergiversations des députés du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir). Le premier d’entre eux, le locataire du perchoir, Mamadou Koulibaly, n’avait jusqu’ici pas donné suite aux courriers que lui avaient envoyés, à la mi-juin et le 7 juillet, ses collègues de l’opposition lui demandant de convoquer une réunion des présidents de groupe afin d’arrêter un calendrier pour l’examen des textes litigieux. La démarche du chef de l’État pas plus que la signature de l’accord de Yamoussoukro ne lèvent pour autant toute hypothèque sur le DDR. L’heure est donc à l’optimisme prudent, car dans ce processus de retour à la paix fait de reports et d’occasions manquées, le désarmement maintes fois annoncé prend des allures de rêve quasi impossible d’ici au 30 octobre, date prévue pour l’élection présidentielle. Incidents et dérapages, sources de retards, sont toujours possibles, comme ailleurs, notamment au Burundi ou en RD Congo. Et la détermination – clairement affichée aujourd’hui – du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que de l’Union africaine d’appliquer les sanctions arrêtées depuis la mi-novembre 2004 contre les parties qui ne respecteraient pas leurs engagements pourrait ne rien y changer.
Aussi paradoxal que cela paraisse, c’est peut-être la proximité de l’échéance présidentielle qui rend le processus encore plus fragile. « Le plus gros obstacle, admet dans le quotidien français Le Figaro Alain Donwahi, la cheville ouvrière du DDR, reste la méfiance entre les deux camps. Et les élections, malheureusement, sont un facteur négatif dans la conduite du programme. […] Des calculs se font de part et d’autre, et chacun, bien entendu, se prépare à gagner. Alors, ce jeu politique parfois malsain peut tout fausser. Mais nous n’avons plus assez de temps. Nous faisons en sorte de tenir dans les délais, et c’est très dur, très difficile… » Il est d’autant plus conscient de la fragilité du processus qu’il redoute d’autres menaces. La tentation, par exemple, pour les combattants de cacher tout ou partie de leur arsenal pour le ressortir plus tard, notamment au moment du scrutin. D’où la nécessité, selon lui, de l’élaboration de programmes complémentaires pour sécuriser le pays, procéder au ratissage et au démantèlement de toutes les caches d’armes sur le territoire.
Non moins préoccupante, la radicalisation en cours du pouvoir au pays d’Houphouët, dont certains habitués du dossier ivoirien se font l’écho. Deux des trois grosses sociétés de gardiennage et de sécurité d’Abidjan ont été rachetées par des proches de la présidence (voir J.A.I. n° 2322), soit 3 000 à 4 000 miliciens « légaux » utilisables en cas de coup de dur. L’évolution de la situation politique dans les pays voisins demeure une autre source d’inquiétude. La Sierra Leone est encore convalescente et la Guinée de Lansana Conté est malade. Et pratiquement à la même période qu’en Côte d’Ivoire, le Liberia doit, lui aussi, organiser le 11 octobre prochain l’élection présidentielle après plus de quinze ans de guerre civile pour parachever le retour de la paix. Tout dysfonctionnement dans ce processus pourrait avoir des conséquences sur la sortie de crise ivoirienne.
Ce n’est pas tout. L’identification des populations en zone rebelle – que certains membres des Forces nouvelles voient concomitante à celle des combattants – doit permettre à celles-ci de participer à l’élection présidentielle. Mais que se passera-t-il si cette opération venait à connaître des ratés ? La menace est suffisamment réelle pour qu’une délégation se soit rendue le 12 juillet à Bouaké pour aborder la question. Elle préparait également le séjour dans le Nord, du 18 au 25 juillet, d’une mission d’évaluation qui doit visiter les zones sous contrôle de l’ex-rébellion pour se faire une idée précise des registres d’état civil existants, pour voir ceux qui ont besoin d’être remis à jour et ceux qui ont purement et simplement disparu.
On n’en est pas encore là. Pour le moment, il s’agit de trouver les 85 milliards de F CFA nécessaires au financement du DDR. Les moyens de l’État sont limités et la Banque mondiale, qui est prête à participer au volet civil de l’opération à hauteur d’environ 40 milliards de F CFA, ne pourra probablement rien décaisser si le pays ne s’acquitte pas, au préalable, des quelque 100 milliards de F CFA qu’il lui doit au titre des arriérés. Yves Kouamé, auquel le Premier ministre Seydou Elimane Diarra a confié depuis le 3 juin la gestion du financement du DDR, a du pain sur la planche. À moins que, d’ici là, la communauté internationale ne se mobilise financièrement.

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