Un raz-de-marée et deux enterrements

Vague sarkozyste, déclin des communistes, déroute des lepénistes. Sans surprise, les législatives ont confirmé les résultats de la présidentielle.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 7 minutes.

François Fillon a obtenu la moitié de son billet. Le nouveau Premier ministre avait usé d’une parabole efficace pour ajouter au triomphe présidentiel de Nicolas Sarkozy une victoire parlementaire de l’UMP non moins historique. « Le 6 mai, nous avons gagné un billet de 500 euros coupé en deux », avait-il déclaré avant d’inviter les électeurs à « aller chercher l’autre moitié dans les urnes des législatives ». Les résultats ont dépassé dès le premier tour ses espérances.
De « vague bleue » à « tsunami » en passant par « déferlante », les médias ont rivalisé d’expressions climatiques pour décrire un phénomène qui traduit effectivement un changement total de climat politique. La présidentialisation accentuée est massivement approuvée. L’ouverture est plébiscitée. Avec sa deuxième moitié du billet, François Fillon va pouvoir passer de l’expédition des affaires courantes à l’engagement des réformes. Il aura bien besoin alors d’une majorité forte à l’Assemblée nationale pour faire aboutir ses réformes à hauts risques si les négociations promises ne permettent pas de surmonter les résistances corporatistes ou syndicales.
Face à la submersion d’une droite décomplexée, la gauche en désarroi a fini par se ressaisir, après avoir semblé jouer perdant, comme si elle se reportait déjà sur les municipales de 2008, voire la revanche élyséenne de 2012. Ainsi s’explique apparemment que les abstentions records du premier tour aient été les plus nombreuses chez ses électeurs. Conscients du danger, les dirigeants socialistes décidaient alors d’élaborer à la hâte une plate-forme législative, serraient enfin les rangs pour passer « ensemble » de la résistance à la reconquête. Ségolène Royal promettait de « se mettre au service du collectif », langage inhabituel chez celle qui s’est toujours targuée de « ne devoir rien à personne sauf au peuple français ». Les querelles internes, dont l’aigreur ne pouvait plus se couvrir du rituel « débat d’idées », ont été provisoirement mises en suspens. Mais tous les problèmes restent posés, à commencer par le plus difficile, devenu un dilemme à la fois insoluble et incontournable pour les « Éléphants ». Ils reconnaissent la performance de Royal, mais ils en voient aussi les limites. S’il leur faut bien admettre qu’avec ses 11 millions de voix du 6 mai elle est actuellement leur meilleur chef de file, ils doutent plus que jamais de ses capacités à s’imposer pour la majorité de la nation comme un chef d’État crédible.

Pendant ce temps, le Parti communiste vide ses greniers et s’apprête à monnayer quelques toiles de grands peintres « amis » pour tenter de survivre financièrement au désastre électoral de Marie-George Buffet – moins de 2 % des voix, ce qui le prive du remboursement de ses frais de campagne. Il espère éviter la vente de son siège de la place du Colonel-Fabien, des mètres carrés en or massif en cette période d’explosion immobilière, mais le dernier bastion emblématique d’une puissance en voie de disparition. À son dernier congrès de 2003, on s’interrogeait déjà sur ses chances de se maintenir dans la vie politique française et de garder un groupe au Palais-Bourbon. Robert Hue n’avait recueilli que 3,4 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle de 2002, un score qui témoignait éloquemment de la dégradation de l’influence du parti dont les étapes, depuis l’avènement de la Ve République, annonçaient autant de lendemains qui déchantent. De Gaulle leur prend d’emblée 1 800 000 voix au référendum de septembre 1958 sur la nouvelle Constitution. Les avatars de l’union de la gauche ne leur seront pas plus favorables. La superstar des médias Georges Marchais dépasse à peine 15 % à la présidentielle de 1981. Enfin installé à l’Élysée, François Mitterrand ne fait entrer les communistes au gouvernement que pour mieux les compromettre dans leur électorat – opération réussie, que Lionel Jospin s’empressera de renouveler en 1997. La chute du parti s’accélère en s’étendant à ses places fortes municipales. Il perd en 1995 la dernière ville de plus de 100 000 habitants qu’il contrôlait, Le Havre. Pour la première fois de son histoire, il doit affronter des contestations idéologiques et tactiques : à l’intérieur, avec les refondateurs et les reconstructeurs qui critiquent son inféodation à l’URSS et son refus de rapprochement avec le PS ; à l’extérieur, avec les rénovateurs, anciens exclus ou démissionnaires.
De ces déchirements, les blessures ne seront jamais cicatrisées. On pouvait en voir des derniers stigmates sur les affiches officielles de Marie-George Buffet, candidate « soutenue » par le Parti communiste. L’effondrement de l’URSS et des satellites soviétiques de l’Est le prive bientôt de son modèle de référence. Reconverti dans l’opposition à l’Europe « ultralibérale », et plus tardivement dans le combat contre la mondialisation dont il n’avait pas su prendre l’initiative et où il ne réussira pas à s’imposer, il se cherche en vain une « nouvelle ligne » dont l’absence aggrave son impuissance stratégique. Il ne s’adapte pas mieux à la transformation d’une classe ouvrière confrontée aux évolutions technologiques et qui le lâche à chaque élection pour d’autres extrêmes jugés plus efficaces. À droite, le Front national ; à gauche, le mouvement Lutte ouvrière d’Arlette Laguiller et, surtout, la LCR d’Olivier Besancenot, animateur d’une contestation radicale regonflée qui se spécialise avec succès dans la défense des exclus : chômeurs, immigrés, sans-papiers et sans-logement. La dernière erreur du PCF a été de croire que la victoire du non au référendum européen du 29 mai 2005 allait se prolonger aux élections de 2007, alors que tous les sondages indiquaient que les « nonistes », pressés de tourner cette page peu glorieuse, s’apprêtaient à regagner leurs pénates politiques respectifs. Et c’est ainsi que les communistes, après avoir longtemps reproché aux gouvernements de droite comme de gauche de brader le patrimoine national par leurs dénationalisations, se voient cruellement obligés de vendre à leur tour les bijoux de famille.

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À l’autre bord de l’échiquier politique, l’extrême droite ne sort pas moins laminée du compresseur de la bipolarisation. Après son fiasco à l’élection présidentielle et la déroute de ses candidats aux législatives, où seule sa fille Marine a réussi à passer le cap du premier tour, une nouvelle avanie attendait Jean-Marie Le Pen : 88 % de ses sympathisants se déclaraient satisfaits des premières semaines d’activité présidentielle de Nicolas Sarkozy, un record dans cet électorat exigeant et volatil. Faut-il mettre désormais un I entre le F et le N de Front national pour illustrer sa fin prochaine ?
Jean-Marie Le Pen n’a jamais affronté autant de difficultés, et d’abord, ce n’est pas rien, d’intendance. Avec une moyenne de 4,29 % aux législatives, qui le ramène brutalement à ses scores d’il y a vingt-cinq ans, le FN, déjà très endetté, devra payer les lourdes ardoises de campagne de la plupart de ses candidats. Électoralement exsangue, privé d’espace politique, Le Pen n’a pas tort de reprocher à Nicolas Sarkozy de lui avoir volé ses voix en copiant sur son programme à l’examen présidentiel.

Mais le chef de l’UMP ne s’en est jamais caché, s’il ne l’a évidemment jamais reconnu. C’est très médiatiquement au contraire, et dès sa nomination au ministère de l’Intérieur, qu’il a adressé des signaux tous azimuts en direction de cette clientèle de vocation droitière que le tandem Pasqua-Pandraud avait essayé en vain de récupérer et qu’il se promet depuis toujours de ramener à la majorité post-gaullienne. Il multipliait alors les visites de commissariats, surgissait sur tous les terrains de la violence, se targuait d’être le seul ministre à avoir passé la nuit avec les policiers et les pompiers dans les banlieues incendiées, arrachait aux Britanniques leur accord pour fermer le centre de réfugiés de Sangatte, se faisait en parallèle l’avocat de l’immigration choisie, se démarquait enfin de Chirac en se prononçant contre l’admission de la Turquie dans l’Union européenne. Le Pen avait beau se rassurer à la pensée que ses électeurs préféreraient toujours l’original à la copie, pour une fois la copie se montrait plus active et battante que l’original, avec des résultats que traduisaient les statistiques de la délinquance et que répercutaient les députés UMP dans leurs circonscriptions, tandis que le chef du Front, diabolisé pour cause de racisme et de xénophobie, incapable de soutenir, faute d’élus, ses propositions, restait voué aux imprécations tribunitiennes.

Les affrontements de la gare du Nord ont donné le dernier coup d’accélérateur à un transfert d’électorat qui cheminait souterrainement dans la France profonde et dont on allait mesurer l’importance croissante aux deux tours de la présidentielle. Tombé à 4,8 % des suffrages nationaux, Jean-Marie Le Pen voit son parti désormais réduit au noyau dur de cette extrême droite française, la seule à peu près constante, qui s’est toujours située dans cette limite depuis les 4,36 % de suffrages recueillis par Tixier-Vignancour contre de Gaulle en 1965. On doit en croire cependant les politologues qui conseillent de ne pas signer trop vite son acte de décès. Lui-même, malgré ses 79 ans tout proches, a précisé qu’il entendait bien rester à la tête de son parti au moins jusqu’aux municipales de 2008, persuadé de voir bientôt revenir à lui les inévitables déçus du sarkozysme. La suite se jouera probablement entre sa fille Marine, que plus personne au Front n’ose accuser d’avoir torpillé la campagne de son père, et son dauphin autoproclamé Bruno Gollnisch, pour aboutir peut-être à un partage de pouvoirs : à elle la candidature pour l’Élysée en 2012 – elle y pense et pas seulement en se maquillant ; à lui la direction du parti. À moins que les élections européennes de juin 2009 ou, d’ici là, le vote au Parlement d’un traité européen simplifié ne soient l’occasion d’une sorte d’Épinay des droites extrêmes et souverainistes qui pourraient alors se fédérer dans une union sacrée contre la nouvelle Europe Sarkozy-Merkel-Prodi.

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