Sur le devant de la scène

Chômage en baisse, croissance en hausse, budget équilibré la troisième puissance économique mondiale enregistre de bons résultats. Et signe son grand retour au premier plan diplomatique.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 7 minutes.

Angela Merkel a gagné à Heiligendamm. À l’occasion du sommet du G8, la chancelière allemande a remporté une vraie victoire en persuadant le président américain d’accepter, le 7 juin, de reconnaître la nécessité de réduire « substantiellement » les émissions de gaz à effet de serre.
Certains s’appuient sur l’absence de chiffres contraignants pour dire que cet accord a minima est un coup d’épée dans l’eau. Ce faisant, ils méconnaissent la portée de la reculade de Washington, qui a, en plus, accepté que la lutte contre le réchauffement climatique soit conduite par l’ONU. Une couleuvre de taille à avaler pour le chantre de l’unilatéralisme !

Cette victoire tout en douceur marque le grand retour de l’Allemagne sur la scène internationale. Les signes abondent qui prouvent que ce pays est en passe de retrouver son rang et de purger les séquelles du passé.
En politique étrangère, les complexes allemands nés de la défaite de 1945 et de la Shoah se dissipent. On trouve l’armée allemande sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures : 8 128 soldats ont été envoyés par Berlin pour maintenir l’ordre et la paix dans le nord de l’Afghanistan, au Kosovo ou en République démocratique du Congo. Ce nombre supporte la comparaison avec les 14 500 soldats français et les 14 520 soldats britanniques engagés à leurs côtés. Six avions de reconnaissance Tornado allemands sont basés à Mazar-e-Charif (Afghanistan), et les bâtiments de la Bundesmarine ont croisé au large des côtes du Liban pendant la guerre menée par Israël au cours de l’été 2006.
Que les complexes disparaissent avec la France, l’ancien ennemi héréditaire, rien que de très normal après cinquante ans d’Europe et de couple franco-allemand. Les concertations deux fois l’an de gouvernement à gouvernement ont instauré un climat qui autorise la franchise : les Allemands ont dit leur mécontentement devant le nationalisme économique français lors de la fusion Sanofi-Synthelabo avec Aventis, dans le secteur pharmaceutique, ou à l’occasion de la crise d’Airbus et de sa gouvernance. Ils ont publiquement regretté que Paris ait choisi la Bourse de New York plutôt que celle de Francfort comme partenaire pour Euronext, la Bourse européenne.
Ce qui est nouveau, c’est la distance qu’ils commencent à prendre par rapport à Israël. Jusqu’à présent, le remords de l’Holocauste les empêchait de critiquer l’État hébreu. Or, au retour d’un voyage en Palestine en 2006, les évêques catholiques allemands ont comparé la vie des Palestiniens sous l’occupation israélienne à celle des juifs du ghetto de Varsovie. Le tollé soulevé en Israël par cette déclaration n’a pas dissuadé 53 % des personnes interrogées de Berlin à Munich et de Hambourg à Bonn de trouver « anormal » de ne pas critiquer Israël. Certes, la Bundeswehr n’en est pas encore à défendre les Palestiniens ou les Libanais les armes à la main contre Tsahal, mais les mentalités bougent sur la rive droite du Rhin.

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Angela Merkel est parfaitement en phase avec ces évolutions. Celle que Helmut Kohl, son prédécesseur à la chancellerie et son mentor au sein de la CDU (Union chrétienne-démocrate), appelait « la gamine » parle au nom de son pays avec une audace tranquille qui en impose à tous. Lors de sa première visite officielle à l’étranger, en 2005, elle avait dit à Jacques Chirac tout le mal qu’elle pensait du projet de baisse de la TVA pour les restaurateurs au moment où elle allait augmenter la TVA allemande pour réduire son déficit budgétaire. Chirac a mis les pouces.
Elle a charmé George W. Bush par son atlantisme, ce qui lui a permis de lui déclarer droit dans les yeux que la prison de Guantánamo « ne peut ni ne doit exister à long terme ». À Vladimir Poutine et en russe, elle a dit sa compassion pour la Tchétchénie. À Wen Jiabao, elle a refusé de lever l’embargo sur les armes en raison des violations des droits de l’homme en Chine.

Elle s’exprime poliment mais fermement, et elle est entendue, car le Français ne peut lui donner tort sur le dossier de la TVA, l’Américain ne veut pas perdre son soutien, le Russe ne respecte que la fermeté et le Chinois a besoin de la technologie allemande.
Car la puissance économique allemande en pleine renaissance fait qu’on respecte de plus en plus ce pays qualifié de « nain politique » depuis la Seconde Guerre mondiale. Pays malade de l’Europe depuis 1990, depuis que Helmut Kohl avait choisi, pour des raisons politiques, de fusionner le deutsche Mark et le mark est-allemand à parité, l’Allemagne est sortie de sa léthargie et a surmonté le fardeau financier de sa réunification.
Sa croissance (+ 2,7 %) a dépassé celle de la France (+ 2 %) en 2006, pour la première fois depuis quatorze ans. En un an et demi, le nombre de ses demandeurs d’emploi est tombé de 5,2 millions à moins de 4 millions. Les déficits publics se réduisent à toute allure et devraient représenter 1,5 % du produit intérieur brut (PIB), contre 3,9 % en 2003. Début juin, Bruxelles a clos la procédure qui avait été engagée contre Berlin en 2003 pour déficits excédant les 3 % requis par le traité de Maastricht. L’équilibre budgétaire est en vue pour 2010, et peut-être même avant.
Le père de ce redressement est l’adversaire et prédécesseur social-démocrate d’Angela Merkel à la chancellerie : Gerhard Schröder. Dans l’impossibilité de continuer à financer l’État-providence à l’allemande, il a réformé à la hussarde les comportements économiques et sociaux de son pays. Il a assoupli le marché du travail en réduisant la durée des indemnités des chômeurs et en leur faisant obligation d’accepter les emplois qu’on leur proposerait. Il a fait admettre les jobs peu payés ou précaires ; il a commencé à remettre en question la réduction du temps de travail et la protection sociale allemande, la plus coûteuse au monde.
Les salaires ont été quasiment bloqués depuis le milieu des années 1990. Et 2,5 millions de chômeurs en fin de droits vivent uniquement de l’aide sociale. Il résulte de ces réformes que le coût unitaire du travail est resté stable en Allemagne depuis 2000, alors qu’il a crû de 10 % en France et de 20 % en Italie. Ces électrochocs ont fait chuter Gerhard Schröder face à Angela Merkel aux élections législatives de 2005, mais ils ont changé la mentalité des Allemands, qui ont compris la nécessité de s’adapter pour éviter la fuite de leurs emplois en Europe centrale et orientale.

L’Allemagne est redevenue le champion du monde des exportations devant les États-Unis et la Chine, s’offrant un excédent commercial de 164 milliards d’euros en 2006, alors que la France affiche, elle, un déficit de 29 milliards. Les raisons de ce succès sont à chercher dans l’extrême spécialisation de l’industrie allemande dans l’automobile, la chimie-pharmacie, l’électronique et les machines-outils.
La recherche de l’excellence, de la fabrication jusqu’à l’après-vente, fait que la réputation du made in Germany surpasse celle des autres pays exportateurs, notamment celle du Japon. Une machine (à coudre, à laver, à emboutir, à coller, à fraiser, etc.) allemande ne tombe pas en panne et se revend d’occasion au même prix que neuve. On ne regarde pas à la dépense pour acheter de tels bijoux, ce qui met les exportations allemandes à l’abri du renchérissement de l’euro par rapport au dollar.
On peut aussi expliquer le retour en forme de l’Allemagne par des facteurs psychologiques. Pourquoi, malgré une démographie en berne (voir page 61) et malgré les nombreux scandales de corruption dans les grandes entreprises, le moral y est-il revenu au beau fixe ? Pourquoi les Allemands n’ont-ils plus peur de la mondialisation, à la différence des Français ?
Parce que la Coupe du monde 2006 de football, où la Mannschaft, le onze national, a terminé à une fort honorable troisième place, a été un événement planétaire qui s’est déroulé impeccablement. Parce que le chef de l’Église catholique, Benoît XVI, est désormais un Allemand. Parce que leur cinéma et leur littérature sont en pleine renaissance.
Parce que Angela Merkel poursuit les réformes de son prédécesseur pour mettre le pays au niveau des plus dynamiques : retraite à 67 ans au lieu de 65, réduction de la pression fiscale sur les entreprises, réforme du système de santé, suppression des subventions aux mines de charbon – ô combien symboliques de l’histoire industrielle allemande – qui fermeront d’ici à 2018 sans aucun licenciement parmi leurs 34 000 salariés.

Mais un pays n’est grand qu’en associant son peuple à sa richesse retrouvée. Pour la première fois depuis quinze ans, la métallurgie allemande a décidé une importante augmentation de salaire pour ses employés : + 4,1 % au 1er juin 2007 et encore + 1,7 % un an plus tard. C’est dire que le patronat n’a plus peur de la concurrence des pays à bas coûts, tant la productivité de sa main-d’uvre est avérée.
Les salariés ont reçu cinq sur cinq cette reconnaissance à la fois financière et morale de leurs efforts d’adaptation : la hausse de trois points de la TVA intervenue le 1er janvier de cette année, et dont les experts redoutaient qu’elle casse le moral des consommateurs, n’a eu aucune conséquence sur leur fringale d’achats.
À leurs propres yeux comme aux yeux du reste du monde, les Allemands redeviennent « ein große Volk », un grand peuple, comme les qualifiait avec admiration le général de Gaulle.

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