Saga cubaine

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

J’attendais une semaine de calme (fût-il relatif) pour vous entretenir d’un « cas » qui ne fait pas la « une » des journaux, en ce moment du moins, mais qui, parce qu’il est unique au monde et même dans l’Histoire, intrigue ou fascine beaucoup d’entre nous.
À ce titre, il mérite d’ailleurs davantage que ce que je vais pouvoir vous en dire dans les limites de cet article, mais je vous promets que Jeune Afrique y reviendra dans quelques semaines beaucoup plus longuement.
Je veux parler de l’étrange et très vieux tandem politique formé par les frères Fidel et Raúl Castro.

Fidel a 81 ans bientôt révolus, et Raúl, 76 bien sonnés. Avec quelques autres, aujourd’hui disparus (et pour certains d’entre eux éliminés), ils ont conquis le pouvoir de haute lutte à Cuba le 1er janvier 1959, il y a donc plus de quarante-huit ans.
Ils ont non seulement réussi à le garder, mais ont aussi, progressivement, concentré entre leurs quatre mains le contrôle absolu des principaux rouages de ce pouvoir : le Parti, devenu communiste et donc unique ; l’État, rendu totalitaire et tentaculaire ; et les forces de sécurité (armée et polices), toutes-puissantes et omniprésentes.

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Très proche voisin de leur petit pays – une île de 110 000 km² et de 11 millions d’habitants -, la plus grande puissance du monde leur voue, depuis 1959, une hostilité sans faille et a tout, absolument tout, tenté (invasion militaire, assassinats, embargo économique et financier, quarantaine, blocus naval, etc.) pour abattre leur régime, sans parvenir à l’ébranler.
Dix présidents américains se sont succédé à Washington depuis 1959 et tous ont voulu changer le régime instauré à La Havane.
Les uns et les autres n’ont réussi qu’à renforcer le pouvoir des frères Castro et, à l’heure où j’écris ces lignes, ces derniers règnent de manière absolue sur le peuple cubain ; ils continuent de narguer de plus belle ceux qui leur font face à la Maison Blanche, au département d’État et au Pentagone.

Mais le plus fascinant de cette longue histoire est ce qui s’est passé depuis près d’un an. À la fin de juillet 2006, Fidel est tombé très gravement malade, au point de se voir contraint de reconnaître publiquement qu’il était dans l’incapacité de continuer à exercer ses fonctions. Il les a transmises à Raúl, sans formalisme excessif et sans que nul, à Cuba, ait la possibilité de formuler la moindre objection.
Quel mal a terrassé Fidel ? Avant de s’en remettre aux chirurgiens, il a eu la force de faire de la nature de sa maladie un secret d’État qui a été bien gardé.

Les États-Unis, qu’on savait intéressés au plus haut point et dont on pouvait penser qu’ils seraient bien informés, firent montre d’une incroyable ignorance.
Ne disposant visiblement d’aucune information sérieuse, prenant ses désirs pour la réalité et ne craignant pas de se ridiculiser, John Negroponte, le chef suprême des dix-huit agences de renseignements américains – coût : 40 milliards de dollars par an -, a mis plus de cinq mois à chercher la bonne information ; le 15 décembre 2006, il a réuni la presse pour lui faire des « révélations » :
– Fidel Castro est atteint d’un cancer du côlon ou de l’estomac, en phase terminale. Il est mourant, c’est désormais une question de quelques mois

Il reviendra à un médecin espagnol de grand renom, appelé au chevet de Fidel dans les premières semaines de 2007, de nous informer (et, avec nous, Negroponte), de rétablir la vérité :
– Fidel n’a pas de cancer ; après la première opération de juillet, qui a échoué, il en a subi d’autres, pénibles, et qui l’ont beaucoup affaibli Son âge explique l’extrême lenteur avec laquelle il se rétablit.
Tenu par le secret médical, le chirurgien espagnol n’en a pas dit plus, mais l’on a appris que Fidel souffrait en réalité de diverticules de l’estomac ou de l’sophage.
Quoi qu’il en soit, confirmant le diagnostic optimiste, Fidel Castro a reçu plusieurs visiteurs au cours des dernières semaines ; il a écrit (ou dicté) et fait publier des articles qui portent sa marque. Les images de la télévision l’ont montré dans plusieurs circonstances et l’on a pu voir un homme de 81 ans qui reprend peu à peu du poids et des forces

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Né le 13 août 1926, il entrera prochainement dans sa 82e année et les semaines qui viennent nous permettront d’en savoir plus sur ce curieux et vieux « couple » formé par les frères Castro.
Le premier sera-t-il en état de demander au second de lui rendre la fonction de Líder máximo et de retourner à sa place de numéro deux ? Ce dernier obtempérera-t-il sans un murmure ni un soupir ?
Les Cubains seront-ils contents de revoir à la barre l’homme qui, en près de cinquante ans, a fait de l’île cubaine et de ses habitants ce qu’ils sont aujourd’hui ?

En attendant de vous en dire beaucoup plus sur cette saga cubaine, sachez qu’elle passionne – et divise – les meilleurs connaisseurs.
Parmi ceux que la performance des frères cubains révulse, le journaliste Carlos Alberto Montaner, d’origine cubaine, exilé à Madrid. Il en dit ceci :
« Les Cubains se rendent bien compte que le système mis en place par Castro a échoué. Ils s’aperçoivent dans leur vie de tous les jours que le communisme n’a fait qu’aggraver leurs problèmes.
La généralisation de l’éducation et des prestations de santé, très médiocres par ailleurs, ne peut compenser ni les difficultés rencontrées par les Cubains pour se nourrir, se loger et se vêtir correctement, ni les défaillances des services publics en matière de transport, d’électricité, de communications et d’accès à l’eau potable.
Paradoxalement, même les acquis sociaux de la Révolution ne jouent pas en faveur du régime. Le fait que les Cubains soient bien éduqués renforce leur volonté de changement et accentue leur mécontentement à l’égard d’un système qui maintient l’immense majorité d’entre eux dans la pauvreté.
Personne n’est plus désireux de rompre avec le collectivisme égalitaire que la légion d’ingénieurs, de médecins, de techniciens contraints de vivre sans le moindre espoir d’une amélioration quelconque de leur condition.
Il est certain que les Cubains à la fois éduqués et frustrés tenteront d’obtenir des réformes, dans le cadre des institutions communistes, voire en dehors de ce cadre.

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Ignacio Ramonet, rédacteur en chef du Monde diplomatique, défenseur inconditionnel (et biographe) de Fidel, lui répond en ces termes :
« Dans cent ans, les historiens reconnaîtront à Castro d’avoir constitué une nation sûre d’elle-même avec une forte identité, même après un siècle et demi de tentation de son élitiste population blanche de s’aligner sur les États-Unis par peur de la nombreuse population noire opprimée. Ils verront en lui, à juste titre, un pionnier remarquable dans l’histoire de son pays. Fidel Castro n’est plus aux affaires depuis juillet 2006. Pourtant, tout se passe comme si de rien n’était. Le régime ne s’est pas effondré. Il n’y a pas eu non plus ces protestations publiques tant redoutées. Force est de constater que le système peut très bien fonctionner dans un tel contexte et que les institutions peuvent résister au choc du retrait de Fidel. »

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