À quoi joue Compaoré ?

Avec son nouveau gouvernement, que l’opposition juge pléthorique, le chef de l’État entend assurer la continuité. Et mettre l’accent sur le développement et la politique extérieure.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Le tout-Ouaga s’attendait à un gouvernement resserré et profondément remanié, il n’en est rien. En annonçant, le 10 juin, la composition de l’équipe qui succède à celle d’Ernest Paramanga Yonli, démissionnaire au lendemain des élections législatives du 6 mai, le président Blaise Compaoré a, comme à l’accoutumée, créé la surprise : le nouveau cabinet burkinabè compte 34 membres, exactement comme celui qui vient de rendre son tablier Mais sans doute était-il difficile pour le chef de l’État de faire autrement. Pourquoi chambouler une équipe dont la longévité semblait indiquer que le travail accompli était satisfaisant ?

Avec seulement treize nouveaux venus dans l’équipe du Premier ministre Tertius Zongo, Compaoré a-t-il voulu donner une prime aux sortants au risque de se voir accusé de prendre les mêmes pour recommencer ? En tout cas, l’opposition se demande à quoi joue le chef de l’État. « Le gouvernement est toujours aussi pléthorique et les caciques du pouvoir sont toujours là », déplore Me Bénéwendé Sankara, le leader de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS). Non sans raison. Le fidèle d’entre les fidèles, Salif Diallo conserve l’Agriculture, l’Hydraulique et les Ressources halieutiques. Alain Yoda à la Santé et Yéro Boli à la Défense gardent la haute main sur leur portefeuille. Le premier se voit même propulsé ministre d’État – comme Diallo qui l’était déjà – tandis que le deuxième ne paie visiblement pas l’effervescence qui s’était emparée des casernes à la fin décembre-début janvier derniers. Les alliés – membres de l’opposition (ADF-RDA) qui soutiennent l’action du président – eux aussi, restent dans le jeu. Ils gardent deux ministères : les Transports, d’une part ; l’Alphabétisation et l’Éducation non formelle, de l’autre.
Si certains membres de l’ancien gouvernement changent de portefeuille, les rotations portent toutefois davantage le sceau de la promotion que celui de la sanction. Zakalia Koté, jusque-là secrétaire général du gouvernement et du Conseil des ministres, devient garde des Sceaux, en lieu et place de Boureima Badini, qui paie probablement ses relations tumultueuses avec les magistrats. Mal vu auprès des hommes du rang depuis les violentes manifestations de l’armée survenues il y a six mois, Djibrill Bassolé, dont on disait en outre que les relations avec son collègue de la Défense étaient au plus bas, réussit à sauver sa place. Mieux : il est nommé à la tête d’un ministère régalien, celui des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Après avoir conduit, dès le début des années 1990, plusieurs négociations sous-régionales, il est devenu, courant 2006, le sherpa de Compaoré dans des dossiers brûlants, comme celui de la Côte d’Ivoire ou celui du Togo, tous deux en passe de trouver une solution. « Même impopulaire, sa nomination est logique, commente un familier du landerneau politique burkinabè. Il reste un homme clé du dispositif du président. Blaise Compaoré ne l’a pas maintenu au rang de ministre d’État pour ne pas narguer la rue, mais, pour l’instant, préfère l’avoir à ses côtés. »
L’ex-premier flic remplace donc à la tête de la diplomatie Youssouf Ouédraogo, la surprise du chef, l’un des partants les plus en vue avec Benoît Ouattara, qui quitte le Commerce, la Promotion de l’Entreprise et l’Artisanat. Rien ne filtre sur le futur point de chute de Ouédraogo. Tout au plus murmure-t-on à Ouaga, qu’avec la nomination de Tertius Zongo au poste de Premier ministre et Filippe Savadogo à la Culture, deux importantes ambassades, celle de Washington et celle de Paris, sont libérées. Et que Ouédraogo pourrait hériter de l’une d’elles. Comme lot de consolation, il y a pire.

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L’entrée en force de plusieurs diplomates au sein du gouvernement (outre le Premier ministre lui-même, Filippe Savadogo, resté à Paris pendant une dizaine d’années, Céline Yoda, qui était à Copenhague, et Salamata Sawadogo-Tapsoba, en poste au Sénégal) témoigne de l’inflexion que le chef de l’État entend bien donner à sa politique extérieure. « Comme le président américain George W. Bush, Tertius Zongo est un évangéliste engagé. Son arrivée à la primature devrait permettre de resserrer les liens avec Washington », explique un membre d’une chancellerie occidentale avant de rappeler que, depuis 1987, aucun dirigeant américain n’est venu en visite officielle à Ouagadougou. Mais au-delà, ces ex-plénipotentiaires rompus aux arcanes des affaires internationales représentent aussi, et surtout, un renfort de poids pour Compaoré. Ce dernier préside, depuis le mois de janvier, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ainsi que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), à la tête desquelles il pourrait rempiler l’an prochain pour un second mandat. Leur expérience peut s’avérer précieuse, à l’heure où les dossiers chauds s’accumulent dans la sous-région, de la Côte d’Ivoire au Togo en passant par le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone.
Autre fait marquant de ce gouvernement : le souci de la cohérence, qui se traduit par la délimitation des différents départements. Les compétences de l’ancien ministère de l’Information, rebaptisé Communication, retournent dans le giron de celui de la Culture et du Tourisme, confié à un ancien secrétaire général du Fespaco, journaliste de profession et fin communicant, Filippe Savadogo. L’ex-secrétariat général du gouvernement et du Conseil des ministres devient un portefeuille à part entière chargé des Relations avec le Parlement. Il échoit au jeune Salif Sawadogo, membre de la garde rapprochée de Compaoré, jusqu’à présent secrétaire national à la jeunesse du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir), et directeur de cabinet du Premier ministre sortant. Il hérite des fruits du travail abattu à la primature et pendant la campagne électorale des législatives.
Last but not least, le département du Développement a fait l’objet de la plus importante évolution. Auparavant rattaché à l’Économie – qui vient, elle, d’être regroupée avec les Finances -, il connaît une forme de promotion avec la création d’un poste de « ministre chargé de mission auprès du président du Faso », spécialisé dans l’Analyse et la Prospective. Il est confié à Guéda Jacques Ouédraogo. Ce professeur d’économie de l’université de Ouagadougou, qui avait déjà occupé dans le passé un poste similaire à la primature, devra élaborer des projets précis de développement. « Pendant trop longtemps, le Burkina a souffert d’initiatives mal coordonnées, explique le nouveau porte-parole du gouvernement, Filippe Savadogo. L’idée est de bien ficeler les projets en amont, pour ne plus mettre la charrue avant les bufs. On veut savoir où l’on en sera dans dix ans. » Ou au moins dans trois ans, à la fin du mandat actuel du président Blaise Compaoré.

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