Les deux Allemagne

Dix-sept ans après la réunification, le clivage Est-Ouest subsiste. Le retard économique de l’ex-RDA suscite encore des frustrations.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Après plusieurs années de morosité économique, l’Allemagne reprend confiance en elle. Longtemps à la traîne des autres membres de l’Union européenne, le pays affiche, pour 2007, une prévision de croissance de 2,7 %. Et, dans la foulée, un optimisme de bon aloi.
Cet Aufschwung (décollage) ne saurait pourtant faire oublier une autre réalité, moins reluisante : celle de la persistance de fortes inégalités entre l’Ouest et l’Est. Près de dix-sept ans après la réunification du pays, le 3 octobre 1990, les différences, tant au niveau économique que social, entre l’ex-République fédérale allemande (RFA) et l’ex-République démocratique allemande (RDA) sont loin de s’être estompées. L’enthousiasme né de la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et l’euphorie des retrouvailles après plus de quatre décennies de séparation ont cédé la place au désenchantement et à l’amertume. Une frontière invisible demeure entre Wessis (habitants de l’Ouest) et Ossis (habitants de l’Est).

Si, au début des années 1990, personne, à l’Ouest comme à l’Est, n’ignorait que beaucoup de temps – et d’argent – serait nécessaire pour mettre sur les rails du libéralisme une économie est-allemande marquée par quarante années de communisme, la majorité se déclarait prête à relever le défi de cette « reconstruction ». L’heure était à la fierté et à la solidarité retrouvées. L’ancien chancelier Helmut Kohl, artisan de la réunification, n’avait-il d’ailleurs pas promis des « paysages florissants » pour les années à venir ? Depuis, la situation a bien changé. À l’Est, les retombées de la réunification se sont traduites par un bouleversement économique et social sans précédent Mais pas dans le sens espéré. Le passage d’une économie communiste, caractérisée par des structures marquées par un étatisme d’airain, à une économie de marché a entraîné la restructuration, voire la fermeture de nombreuses entreprises.
Face aux problèmes économiques rencontrés à l’Est, plus de 1,2 million d’Ossis – souvent les mieux formés et les plus jeunes – ont tenté leur chance à l’Ouest. Certaines régions sont particulièrement frappées par cette dépopulation : dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, la population a diminué de 15 % depuis la chute du Mur de Berlin. Cet exode massif a entraîné la désertification de zones entières, en particulier près de la frontière polonaise. Vétustes et peu productives, mais aussi incapables de soutenir la concurrence de leurs voisins slaves chez qui le coût de la main-d’uvre est quatre fois moins élevé, de nombreuses entreprises mettent la clé sous la porte. Et contribuent ainsi à vider certaines villes de leurs habitants. Eisenhüttenstadt, dans le Brandebourg, a vu sa population diminuer d’un tiers depuis 1989 ; Halle-Neustadt, dans la Saxe-Anhalt, de près de 40 %. Fiertés de l’époque communiste, ces anciennes villes industrielles sont devenues moribondes avec la faillite de leurs aciéries et usines chimiques, le départ massif des jeunes, la démolition de quartiers entiers désertés par leurs populations, la fermeture de commerces, d’écoles et de lieux culturels. Dans certaines zones à l’abandon, les chaînes de fast-foods constituent les ultimes espaces de rencontres
Face à une telle situation, de nombreux Ossis se sentent orphelins d’un pays aujourd’hui disparu. S’estimant être considérés comme des citoyens de seconde zone, ils regrettent un système – et un mode de vie – qui, en fin de compte, leur assurait la sécurité de l’emploi, la gratuité des soins et la garantie d’un logement bon marché, à défaut de leur offrir la liberté de s’exprimer et de se déplacer.

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Cette nostalgie de l’Est, baptisée Ostalgie, s’exprime depuis quelques années dans nombre de domaines culturels et sociaux. Au cinéma, plusieurs films récents évoquent avec tendresse l’Est : Good Bye Lenin !, le plus célèbre d’entre eux, sorti en 2003, a attiré plus de 6 millions de spectateurs en Allemagne. À la télévision, des émissions mettent en scène des anciennes célébrités de l’ex-RDA. D’autres se sont emparés du phénomène : tours organisés de Berlin-Est en Trabant ou reproduction de produits de marques est-allemandes font florès.
Plus inquiétante, cependant, est la percée, à l’Est, de mouvements néo-nazis ayant réussi à s’implanter durablement en exploitant les frustrations d’une frange de la population fortement touchée par le chômage. L’extrême droite est désormais représentée aux Parlements de trois des anciens Länder de l’Est : le Brandebourg, la Saxe-Anhalt et le Mecklembourg-Poméranie occidentale. Dans ce dernier, le Parti national allemand (NPD) a recueilli 7,3 % des suffrages lors des élections régionales de septembre 2006. Dans certains villages proches de la Pologne, il a même dépassé les 30 %. Le vote NPD s’affiche. Au sein d’une certaine jeunesse désuvrée, il est devenu « branché » d’exhiber des signes d’appartenance à une « culture » néonazie (crâne rasé, tatouages, blousons et rangers). Parallèlement, le nombre d’agressions à caractère raciste a connu à l’Est une forte croissance depuis la chute du Mur : dans l’ex-RDA, bien que le nombre d’étrangers soit bien moins élevé qu’à l’Ouest, le risque d’être victime de violences xénophobes est de dix à vingt fois plus élevé que dans l’ex-RFA.
À l’Ouest, c’est le coût de la réunification qui est pointé du doigt avec force. Car, malgré les aides massives apportées par les Länder occidentaux depuis 1991 (en moyenne, 100 milliards d’euros par an, soit plus de 4 % de leur PIB annuel), l’Est ne parvient pas à rattraper son retard économique. Ces transferts d’argent – dont moins de la moitié est affectée à des dépenses réellement productives, le reste étant essentiellement consacré à des dépenses sociales – ont grandement contribué à plomber la croissance du pays depuis une quinzaine d’années. Au point que de nombreux Allemands de l’Ouest s’interrogent aujourd’hui sur le bien-fondé d’une telle aide pour un résultat aussi médiocre.
Dans un tel contexte de doute et de défiance, un événement, et non des moindres, est toutefois venu réconforter les habitants de l’ex-RDA : celui de l’élection d’une « gamine » de l’Est, Angela Merkel, à la tête du gouvernement allemand, le 22 novembre 2005. Tout un symbole.

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