L’autre désastre

Bavures, absence d’État de droit, insécurité Comme en Irak, les griefs de la population contre les forces étrangères vont se multipliant.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

Six ans après le renversement du pouvoir taliban et la destruction des camps d’entraînement d’al-Qaïda, la question se pose : les États-Unis et leurs alliés de l’Otan risquent-ils de perdre la partie en Afghanistan ? La réponse est oui. Le gouvernement du président Hamid Karzaï est en grand danger : les talibans sont repartis à l’attaque, et la sécurité est partout menacée, y compris à Kaboul ; police, justice, l’État de droit est inexistant ; les services sociaux ne sont pas assurés ; la reconstruction traîne ; le chômage s’aggrave ; seuls prospèrent les trafiquants de drogue et les seigneurs de guerre. À quoi s’ajoute un facteur nouveau : les pertes civiles qui vont s’aggravant inexorablement.
L’an dernier, plus d’un millier d’Afghans ont été tués dans les affrontements. Les trois quarts ont été victimes d’attaques des talibans, certaines dirigées délibérément contre des civils. Mais quelque 230 Afghans innocents ont perdu la vie dans des frappes aériennes ou des opérations terrestres menées par les troupes américaines ou les forces de l’Otan. Cette année, ce nombre est en augmentation.
Entre mars et début juin, il y a eu au moins six cas pour lesquels les troupes occidentales, principalement des soldats sous commandement américain, ont été accusées de tuer des civils afghans : plus de 135 morts ont été signalés, ainsi que de nombreux blessés. Selon la Croix-Rouge, des bombardements américains dans l’ouest de l’Afghanistan, en avril, ont détruit ou gravement endommagé quelque 170 maisons et jeté à la rue environ 2 000 personnes dans quatre villages.

Ces pertes civiles de plus en plus lourdes dressent les Afghans contre les 45 000 militaires envoyés par les États-Unis et les membres de l’Otan dans leur pays. Les manifestations se multiplient et une motion a été déposée à la Chambre haute du Parlement pour que soit fixée la date de leur départ. Le mécontentement de la population alimente la propagande des talibans, qui font de nouvelles recrues.
Karzaï a fait savoir aux responsables militaires des États-Unis et de l’Otan que la patience du peuple afghan s’épuisait. Il a indiqué que les pertes civiles et les fouilles systématiques et arbitraires dans les maisons avaient atteint un niveau inacceptable : « C’est une situation que les Afghans ne supportent plus. »
Plusieurs mesures sont indispensables. D’abord, les États-Unis et l’Otan doivent se fixer publiquement un « objectif zéro pour les pertes civiles », comme l’avait recommandé, il y a un an, le général du cadre de réserve Barry McCaffrey après un voyage en Afghanistan. À cet effet, les militaires doivent changer de tactique, même si, selon la formule de McCaffrey, « des unités de talibans échappent à la destruction en se cachant dans la population ».

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En second lieu, il faut faire davantage pour « afghaniser les opérations », comme le recommandait l’ancien commandant en chef de l’Otan en Afghanistan, le général britannique David Richards. Ce qui suppose une coordination plus étroite des opérations militaires avec l’armée nationale et le ministère afghan de la Défense. Des soldats afghans doivent participer aux opérations militaires des États-Unis et de l’Otan pour servir de tampon, comme le demande Karzaï depuis longtemps. Il est de même impératif de travailler plus étroitement avec les autorités locales et de mieux respecter les sensibilités afghanes. Il faut réexaminer la manière d’effectuer des perquisitions et de mettre en prison des résidents.
Troisièmement, les États-Unis doivent conclure avec l’Afghanistan un accord sur le statut des forces. Un tel accord devrait préciser les conditions juridiques dans lesquelles des forces militaires étrangères sont autorisées à opérer dans un pays, ainsi que la localisation des bases et des modalités de leurs relations avec les civils. Après six années de campagne militaire américaine, une convention officielle contraignante est indispensable, en partie pour souligner le message politique – à savoir que les troupes américaines sont là à l’invitation du peuple afghan, et non point en tant qu’« occupant » (ce que certains Afghans commencent à se dire).
Enfin, l’Otan doit créer un fonds d’indemnisation pour les pertes, les blessures ou les dégâts matériels résultant des opérations militaires en Afghanistan. Depuis 2002, les États-Unis ont affecté plus de 12 millions de dollars au dédommagement des civils afghans victimes des opérations américaines. Cet argent est utilisé pour des soins médicaux et pour une aide à la reconstruction. L’Otan n’a pas l’équivalent.

* Professeur à l’université George-Washington, secrétaire d’État américain adjoint pour l’Asie du Sud de 1997 à 2001.

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