Kouchner à l’épreuve

Une maigre promesse au Tchad, une fin de non-recevoir au Soudan : le baptême du feu du chef de la diplomatie française ne s’est pas fait sans heurts.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

Septembre 1968 : Bernard Kouchner, jeune médecin, est au Biafra. À peine 30 ans, tout juste descendu des barricades parisiennes de Mai, le petit blondinet gauchiste se retrouve au milieu de milliers de morts, dans le sang, les larmes et l’impuissance.
Juin 2007 : Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, est au Tchad et au Soudan. Presque quarante ans ont passé, il n’a pas cessé de courir le continent. Les rides sont apparues au coin de ses lèvres. Mais le blond de la mèche est toujours d’or et le vert des yeux – qui ont vu toutes les horreurs de la guerre – pétille encore, signe qu’en vieillissant, Kouchner n’a toujours pas l’intention de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir. Mais le costume de diplomate en chef, qu’il a accepté de revêtir à la demande de Nicolas Sarkozy, n’est-il pas trop amidonné pour ce fort en gueule, n’est-il pas trop délicat à porter pour cet éléphant de l’humanitaire ?
Le bilan de son premier voyage officiel – il a choisi le Mali, pour l’investiture d’Amadou Toumani Touré le 8 juin, puis le Tchad et le Soudan, à cause du conflit au Darfour – est mitigé. Dans ses valises, il rapporte une promesse, lâchée du bout des lèvres le 10 juin par le chef de l’État tchadien Idriss Déby Itno de « discuter » de l’envoi d’une force internationale hybride. La même que ce dernier avait faite en novembre 2006 à Dominique de Villepin, alors Premier ministre, avant de se rétracter. Une commission bilatérale doit se réunir dans les prochains jours pour élaborer les contours d’une mission européenne, à ossature française, mais aucune échéance n’a été évoquée. Pis, l’annulation de l’escale du ministre à Tripoli, pourtant prévue jusqu’à la dernière minute, est de mauvais augure. Il aurait gagné à y rencontrer Mouammar Kadhafi, proche du dossier.
Satisfait, pourtant, de son passage à N’Djamena, Kouchner s’est envolé pour Khartoum, persuadé que la diplomatie française pouvait faire la différence, et fortement encouragé par Nicolas Sarkozy à jouer le coup. Sa fausse bonne idée, lancée une semaine plus tôt, d’ouvrir un corridor humanitaire vers le Darfour avait déjà été reçue très fraîchement tant par le Soudan et le Tchad que par les ONG. L’ancien responsable de l’action humanitaire sous Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy, a dû faire marche arrière. À Khartoum, il veut essayer de faire accepter à Omar el-Béchir l’idée de tenir le 25 juin à Paris la conférence du Groupe international de contact (Canada, États-Unis, France, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Nations unies, Union africaine et Union européenne) élargi à la Chine et à l’Afrique du Sud. Nicolas Sarkozy, sûr de la participation de la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, a uvré avec succès lors du sommet du G8 d’Heiligendamm (Allemagne) pour y associer les Chinois.
Mais à Khartoum, la douche est froide pour Kouchner. Son homologue soudanais, Lam Akol, qui n’a pas semblé s’offusquer de la proposition française pendant leur tête-à-tête, ne l’a pas moins publiquement rejetée, déclarant que l’idée d’une conférence n’est pas opportune.
En voulant forcer la main d’Omar el-Béchir, Kouchner a-t-il eu la mémoire courte – ou a-t-il fait preuve d’une trop grande assurance – pour penser que le Soudanais lui accorderait ce qu’il refuse à l’ensemble de la communauté internationale, depuis la signature des accords d’Abuja en mai 2006 ?
Tout au long de sa carrière, le French Doctor a souvent usé de la provocation ou de la manière forte pour obtenir le minimum. « Il a trois idées à la seconde », explique un de ses anciens collaborateurs. Beaucoup finissent aux oubliettes, notamment parce qu’il a tendance à s’intéresser davantage aux grands principes qu’à la gestion quotidienne de ses coups, parfois de génie, toujours médiatiques. L’organisation d’une conférence du Groupe de contact élargi faisait peut-être partie des idées qui méritaient davantage de diplomatie.
Celui qui a été à la tête de la Mission des Nations unies au Kosovo de 1999 à 2001 n’est pas novice en la matière. Le petit père de l’ingérence humanitaire apprendra à manier les arcanes de la diplomatie. Après son débarquement à Mogadiscio en 1992, sac de riz sur le dos, alors qu’il était ministre de la Santé, l’encre a coulé sur son tropisme médiatique. Preuve de son autodérision et comme un pied de nez à ceux qui l’avaient moqué, il a longtemps accroché sur les murs de son bureau parisien, le fameux sac de riz (vide). Cette fois-ci, il ne pourra rire que quand il obtiendra des résultats Il est surveillé sur sa gauche comme sur sa droite.

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