Elles arrivent !

Au-delà des bruyantes péripéties de la lutte pour le pouvoir, une révolution silencieuse a commencé : l’irruption en masse des femmes dans le monde du travail.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Dans cette Algérie prisonnière de ses traditions et traumatisée par une insurrection islamiste qui fit plus de 100 000 morts, une révolution tranquille est à l’uvre : les femmes sont en passe de devenir une force économique et politique sans équivalent dans le monde arabe. Elles représentent 70 % des avocats et 60 % des magistrats, dominent le secteur de la médecine et sont largement majoritaires (60 %) dans les universités. Dans les ménages, ce sont elles qui, de plus en plus, font bouillir la marmite. Alors que leurs consurs arabes restent le plus souvent invisibles, les Algériennes sont partout. Elles commencent à être chauffeurs de taxi ou d’autobus, travaillent dans des stations-service et servent dans des restaurants.

Bien sûr, les hommes continuent de monopoliser les leviers du pouvoir, et les femmes ne représentent encore que 20 % de la main-d’uvre. Mais c’est deux fois plus, et même davantage, que dans la génération précédente. Peu à peu, les Algériennes s’immiscent dans tous les rouages de l’État. « Au train où vont les choses, estime Dako Djerbal, le directeur de la revue Naqd, l’administration sera bientôt dirigée par des femmes. »
Depuis des années, les Algériens ont tendance à se focaliser sur la lutte entre un parti au pouvoir qui s’efforce d’y rester et des islamistes qui tentent de l’en chasser. Ils semblent complètement pris au dépourvu par l’évolution en cours, que les spécialistes expliquent par les particularités du système éducatif et du marché du travail.
Les études universitaires ne sont plus, en effet, considérées par les jeunes gens comme le meilleur moyen de faire carrière et de gagner de l’argent ; ils préfèrent chercher du travail ou émigrer, explique l’historien Hugh Roberts, directeur du projet Afrique du Nord à l’International Crisis Group. Ils traînent dans les rues et s’adonnent à des petits commerces plus ou moins licites : ce sont les hittistes, « ceux qui soutiennent les murs ». L’école, en revanche, permet aux jeunes filles de sortir de chez elles et de se faire une place dans la société. « Le bénéfice, dit-il, se mesure davantage en termes sociaux qu’en termes de carrière. »

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Cette génération d’Algériennes a dû se frayer difficilement un chemin entre État laïc et islam extrémiste. Elles sont plus pratiquantes que les générations précédentes, vont à la mosquée, se couvrent la tête et s’habillent selon les traditions islamiques ; mais elles sont aussi plus modernes et travaillent, souvent avec des hommes, ce qui était jadis tabou. Beaucoup expliquent – ce que confirment les sociologues qu’en se montrant très religieuses elles sont parvenues à se libérer des jugements moraux et des restrictions imposées par les hommes. « Quand on voit que je porte le hijab, personne ne me critique », raconte Denni Fatiha, 44 ans, la première femme à conduire un bus dans les rues étroites et sinueuses d’Alger.
Les conséquences du phénomène sont considérables. Dans certains quartiers, par exemple, le taux de natalité a sensiblement baissé, comme le prouve la réduction de moitié de la fréquentation des écoles primaires. Les femmes se marient de plus en plus tard – 29 ans, en moyenne – pour pouvoir terminer leurs études et trouver plus facilement un emploi. Leurs maris ont souvent fait de moins bonnes études qu’elles, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes.

Khalida Rahman, 33 ans, est avocate. Il y a cinq mois, elle a épousé un ami de son frère, qui exerce la profession de veilleur de nuit. « Quand je le quitte, dit-elle, c’est comme si j’étais un homme. Mais quand je rentre à la maison, je redeviens une femme. » « Dans les années 1960, raconte pour sa part la sociologue Fatima Oussedik, nous étions des progressistes, mais nous n’avons pas obtenu, il s’en faut, des résultats comparables à ceux de la génération actuelle. » Oussedik, qui travaille pour le Centre de recherche en économie appliquée et en développement d’Alger, ne porte pas le hijab et préfère s’exprimer en français.
Le changement ne trouve pas son origine dans la démographie : les femmes ne représentent qu’un peu plus de la moitié de la population. C’est une question d’envie et d’opportunité. De plus en plus, la population perd confiance dans ses dirigeants (gouvernement, élus, etc.), à l’exception du chef de l’État. Aux dernières élections législatives, la participation a été très faible et l’on a recensé 970 000 bulletins blancs, soit presque autant que d’électeurs favorables au parti majoritaire (1,3 million).
Dans ce contexte, les femmes sont peut-être aujourd’hui le plus puissant facteur de changement. Leur irruption sur le devant de la scène peut exercer une influence modératrice et modernisatrice sur la société. Bien entendu, cette évolution suscite des résistances. Certains sont, par exemple, convaincus que le réveil de l’extrémisme islamiste, y compris les attentats, s’explique en partie par le désir de freiner l’aspiration au changement et de réduire l’importance que prennent les femmes. Mais d’autres, tel l’universitaire Abdel Nasser Djabi, applaudissent des deux mains : « Elles nous montrent, dit-il, le chemin de la modernité. »

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