Edgard Tougouma : la fibre africaine
Ingénieur burkinabè installé de longue date au Gabon, le directeur technique de Solsi veut contribuer à la réduction de la fracture numérique.
Quand le ciel de Libreville se couvre, menaçant de déverser les trombes d’eau et de déchaîner les rafales de vent qui caractérisent les pluies équatoriales, Edgard Tougouma tremble pour ses antennes, l’anxiété chevillée au corps. Quand on est directeur technique de l’un des tout premiers fournisseurs d’accès Internet du Gabon, on redoute les éléments. On prie pour que le parc d’antennes paraboliques résiste aux intempéries. Certains jours de pluie, le standard de l’entreprise est submergé d’appels furieux d’abonnés déconnectés. Il faut alors intervenir sans attendre, quelle que soit l’heure. Avec la concurrence en embuscade (une demi-douzaine de fournisseurs d’accès), on ne colle au peloton de tête qu’en payant de sa personne.
Né au Burkina Faso il y a trente-sept ans, Edgard Tougouma décroche un baccalauréat C au lycée Philippe-Zinda-Kaboré de Ouagadougou en 1990, puis débarque dans la capitale gabonaise pour s’inscrire à l’Institut africain d’informatique (IAI). Cinq ans plus tard, il en sort muni d’un diplôme d’ingénieur informaticien et rêve de contribuer à la réduction de la fameuse « fracture numérique ». En août 2000, il prend le risque de l’entrepreneuriat et participe à la création de la start-up Solsi (Services on-line et systèmes informatiques). Depuis, il n’a plus quitté son pays d’adoption.
Dans son bureau, pas très éloigné du « Bord de mer » de Libreville, Edgard Tougouma parle d’une voix grave et posée. Il a toujours été convaincu que l’Afrique ne se construirait que par la force et la créativité des Africains. Son parcours est la preuve concrète que les formations 100 % africaines ne produisent pas que des diplômés inadaptés au monde de l’emploi. Et à l’inverse de certains de ses camarades de promotion, il n’a pas choisi de s’exiler en Occident, pourtant demandeur d’informaticiens bien formés.
« C’était un pari difficile », concède-t-il. Surtout lorsque la jeune entreprise obtient, en 2002, une licence d’opérateur des télécommunications pour une durée de dix ans au Gabon. L’aventure devient un vrai parcours d’obstacles. Mais l’entreprise réussit à creuser son sillon. Aujourd’hui, Solsi possède son propre réseau, basé sur la technologie radio sans fil. Son statut d’opérateur des télécommunications lui permet de « trafiquer » à l’international sans passer par l’opérateur historique Gabon Télécom. Essentiellement tournée au départ vers une clientèle entreprises, Solsi a réussi à développer une attractivité pour les particuliers. Au point que son portefeuille de 2 100 clients comporte aujourd’hui 80 % de liaisons résidentielles (particuliers) pour 20 % de liaisons entreprises. Le plus important est de maintenir la cadence de la pénétration d’Internet au Gabon. Le pays a fait du chemin par rapport à la majorité des pays d’Afrique centrale, avec un taux de pénétration de 4,6 %. Mais les entreprises se taillent la part du lion : elles contribuent pour 80 % au chiffre d’affaires de Solsi – qui s’est élevé à 1,2 milliard de F CFA en 2006.
La fracture numérique, Edgard Tougouma entend contribuer à la réduire en se déployant dans les régions les plus reculées du pays. Il est vrai que tout serait beaucoup plus simple si les opérateurs de petite taille tels que Solsi avaient accès à la fibre optique : depuis sa mise en service, un consortium constitué autour de l’opérateur historique a le monopole de l’exploitation de la fibre SAT3 et pratique des prix prohibitifs. Du coup, les autres acteurs du marché se cantonnent à la technologie V-SAT. « Nous attendons un changement de la politique des prix d’accès à SAT3, qui n’est exploitée pour l’instant qu’à 3 % de ses capacités », soupire Edgard Tougouma. Qui regrette en même temps que les opérateurs de télécommunications du Gabon ne se soient pas encore constitués en association pour faire avancer les choses dans le sens de leurs intérêts. Pourtant, le potentiel de croissance est prometteur. « Les gens commencent à s’équiper. La classe moyenne comprend qu’il vaut mieux se connecter à la maison. On y surveille mieux les enfants pour leur éviter les pièges d’Internet », explique Edgard Tougouma. D’autres se connectent sous la pression de leurs enfants, plus attirés et généralement initiés aux nouvelles technologies. Au Gabon, 37,7 % de la population a moins de 15 ans
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