Charité bien ordonnée

Même si Berlin tient ses promesses en matière d’aide publique au développement, certains dénoncent un manque réel d’ambition.

Publié le 18 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

« Nous nous sommes engagés à accroître automatiquement les ressources affectées à l’aide publique au développement (APD). De même, nous consacrerons 0,33 % de notre revenu national brut (RNB) à l’aide d’ici à 2006 et au moins 0,51 % d’ici à 2010. L’objectif de 0,7 % établi par l’ONU sera atteint d’ici à 2015 au plus tard », promettait l’accord de coalition, conclu en octobre 2005 entre le Parti social-démocrate (SPD) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU), par lequel Angela Merkel allait être élue chancelière fédérale. L’Allemagne a tenu parole. En 2006, Berlin a versé aux pays du Sud 10,3 milliards de dollars, soit 0,36 % du RNB, ce qui traduit une augmentation de 0,9 % par rapport à 2005, selon les calculs de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).

« Toutefois, un examen approfondi révèle que l’Allemagne a atteint cet objectif en gonflant les chiffres », proteste la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement (Concord) dans un rapport publié récemment. « Quelque 2,8 milliards de dollars, soit 35 % de l’APD de l’Allemagne, ne sont pas des ressources supplémentaires pour les pays en développement », dénoncent les auteurs de l’étude. Ces derniers pointent notamment les annulations de dette, accordées principalement à l’Irak et au Nigeria, qui ont représenté au total plus de 2,1 milliards de dollars. Par ailleurs, Berlin, comme Paris, intègre dans l’APD le coût induit par l’accueil des réfugiés et la prise en charge des étudiants étrangers. « L’Allemagne n’a dépensé que 0,23 % de son RNB en aide réelle », conclut Concord.
En Allemagne, pourtant, l’Afrique est devenue un thème à la mode. On ne compte plus les colloques, les articles de presse, les concerts, les fondations ou les uvres de bienfaisance consacrés au continent. Lors du dernier sommet des puissances industrielles du G8, qui s’est tenu sur les rivages de la mer Baltique, à Heiligendamm, du 6 au 8 juin dernier, Angela Merkel avait placé l’Afrique sur le haut de la pile des dossiers devant être examinés par les grands de ce monde, juste après le réchauffement climatique. Au final, le G8 s’est borné à renouveler les promesses entendues à Gleneagles (Écosse), deux ans plus tôt, d’un doublement de l’aide d’ici à 2010 pour la porter à 50 milliards de dollars. Ces engagements n’ayant toujours pas été tenus, d’aucuns s’interrogent sur les motivations profondes d’un tel empressement. Dans le secret des tractations destinées à rédiger le communiqué final du G8, les discussions avec Angela Merkel ont été « plutôt frustrantes », a déclaré Oliver Buston, porte-parole de l’organisation Data, cofondée par Bono, le chanteur du groupe irlandais U2. Avant d’ajouter « nous doutons de l’existence d’un projet robuste » de la part des Allemands pour augmenter l’aide. Mais l’Afrique ne sera pas forcément abandonnée. Tout porte à croire, en effet, que Berlin s’est engagé à redéfinir ses stratégies.
Angela Merkel est une pragmatique qui croit aux vertus du marché. De ce fait, la politique allemande en Afrique, articulée autour d’un Programme d’actions 2015, obéit à une vision économique du développement qui échappe au credo de l’aide. Si les objectifs demeurent la lutte contre la pauvreté, la défense de la paix et de la démocratie, la promotion d’une mondialisation équitable ainsi que la protection de l’environnement, les moyens pour y parvenir répondent avant tout à une logique marchande. La réforme agraire, les opportunités commerciales, le développement des systèmes financiers font partie des priorités clairement affichées par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ) conduit par la ministre sociale-démocrate Heidemarie Wieczorek-Zeul. Parmi les axes de réflexion du BMZ figurent notamment « l’amélioration du climat des affaires et des investissements pour les investisseurs nationaux et internationaux, le développement de systèmes financiers visant à permettre l’accès au crédit et à l’épargne pour les personnes qui en sont exclues, l’appui en faveur de la croissance et l’ouverture de nouveaux marchés ».
Pour mener cette politique, le gouvernement fédéral active deux leviers. Le premier, la Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (GTZ), assure l’assistance technique et le suivi des programmes financés par le Trésor public allemand. Le second est financier et repose sur le groupe bancaire Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW). Depuis le début des années 1960, l’établissement public octroie, au nom et pour le compte du gouvernement fédéral, des crédits et des subventions dans le cadre de la coopération financière avec les pays partenaires. Pour cela, la filiale KfW Entwicklungsbank, entièrement dédiée au développement, a vu ses engagements passer de 1,5 milliard d’euros en 2003 à 1,9 milliard en 2005. Les dépenses en faveur des chantiers sociaux (santé, éducation, etc.) et des infrastructures représentent 31 % des fonds alloués. En deuxième position arrivent les financements accordés aux programmes d’appui économique (29 %), suivis par le soutien aux secteurs financiers (26 %), puis par celui aux secteurs productifs et agricoles (14 %).

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Quant à la répartition géographique, elle témoigne d’un certain équilibre : Asie-Océanie (35 %), Afrique subsaharienne (24 %), Europe et Caucase (17 %), Afrique du Nord et Moyen-Orient (15 %), et Amérique latine (9 %). De quoi relativiser les espoirs déçus de l’aide qui se fait attendre malgré les déclarations solennelles.

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