Yvonne Vera

La romancière zimbabwéenne est décédée le 7 avril, à Toronto.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

La romancière zimbabwéenne Yvonne Vera est morte le 7 avril, à Toronto (Canada), d’une méningite. Elle n’avait que 40 ans. Elle naît en 1964 dans une township noire de Bulawayo, grande ville à l’ouest de ce qui n’est alors qu’une colonie britannique. Sa famille est pauvre et, petite fille, elle est contrainte de travailler dans les champs de coton. Cependant sa mère, « femme forte, non conformiste et qui voulait se battre pour faire entendre sa voix », l’encourage à aller à l’école. Sous l’impulsion du Premier ministre Ian Smith, la Rhodésie du Sud a proclamé unilatéralement son indépendance depuis 1965, mais la Constitution adoptée en 1970 exclut définitivement les Noirs du pouvoir. Yvonne voit donc son oncle s’engager dans les forces de libération, qui luttent pour la démocratie aux côtés de Robert Mugabe et de Joshua Nkomo.

En 1975, elle tombe sur un livre dans lequel figure une photo de Mbuya Nehanda, l’égérie de la résistance contre le colonialisme blanc au xixe siècle. Elle se tient droite, au pied d’un mur, quelques minutes avant d’être pendue. Cette image va profondément influencer Yvonne Vera. Quelques années plus tard, la petite collégienne de la Mbizo Primary School de Luveve part pour la York University de Toronto, d’où elle reviendra avec un Bachelor of Arts – décroché avec les honneurs -, un Master of Arts et un doctorat en anglais.
Son premier recueil de nouvelles, intitulé Why Don’t You Carve Other Animals ? [litt. « Pourquoi ne sculptez-vous pas d’autres animaux ? »], paru au Zimbabwe en 1992, ne fait pas grand bruit. Ce n’est pas le cas de son roman Nehanda, sorti l’année suivante, suivi de Without a Name [« Sans nom »] en 1994, tous deux sélectionnés pour le Prix littéraire africain du Commonwealth. Cette distinction prestigieuse, elle l’obtiendra avec Under the Tongue en 1997. Deux de ses livres sont traduits en français : Papillon brûle et Les Vierges de pierre (éditions Fayard).

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Sensible depuis toujours aux conflits et aux injustices subis par l’Afrique contemporaine, Yvonne Vera en fait une source d’inspiration. Son long séjour au Canada lui a inspiré un amour immodéré de la nature, des arbres, des rivières. La terre, l’air, l’eau, le bois, autant d’éléments premiers qui se nouent en une mystérieuse alchimie que l’on retrouve à travers ses romans. L’immixtion de la violence politique dans une nature somptueuse et sensuelle confère une force tout à fait particulière à l’oeuvre d’Yvonne Vera et a certainement contribué à la propulser au sommet du panthéon littéraire zimbabwéen. Influencée par les auteurs caribéens de langue anglaise, comme George Lamming (la Barbade) ou encore Sam Selvon (Trinidad), elle admirait V.S. Naipaul. « J’aimerais écrire un roman comme Miguel Street, mais je ne parviendrai jamais à atteindre un tel charme dans l’écriture », disait-elle modestement. Vera appréciait aussi l’oeuvre de l’Américaine Bessie Head, dans laquelle elle retrouvait ses propres indignations morales.

On trouve déjà dans Nehanda ce qu’ont pu produire ces lectures chez Yvonne Vera. Elle se situe de plain-pied dans la tendance qui traversait le roman africain dans les années 1990, c’est-à-dire l’émergence, à travers le style et la forme, d’une créativité nouvelle, d’une imagination esthétique et d’une expérience sensorielle. Les titres qui suivent développent ce procédé, en mettant en scène très crûment, de manière presque effrayante, les traumatismes infligés à l’Afrique durant les guerres de libération et la période post-indépendance. La principale critique faite à cette oeuvre est qu’elle est « difficile à lire », notamment à cause de son côté elliptique. Il est vrai que pour l’apprécier pleinement il faut avoir une certaine connaissance du contexte historique, mais c’est un obstacle aisé à franchir. Yvonne Vera était jeune et courageuse. Au confort de l’exil, elle avait préféré la vie au pays, à Bulawayo dont elle dirigeait jusqu’à l’année dernière la National Gallery, musée d’art contemporain. Nul doute que sa gloire eût pu égaler celle des plus grands auteurs du continent. La maladie en a décidé autrement.

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