Comment Bernard Fokou élargit son empire
En trente ans, le self-made-man a bâti un groupe ultra-diversifié présent jusqu’au Congo et au Gabon. Il s’attaque maintenant au minerai qui sera extrait de la frontière camerouno-congolaise.
Bernard Fokou se serait volontiers passé de cette exposition médiatique. Depuis quelques jours, la Société de fabrication des vins du Cameroun (Sofavinc), l’une des entités du groupe Fokou, est sous le feu des critiques de l’Agence des normes et de la qualité (Anor) – avec d’autres fabricants de liqueurs. L’organisme public leur reproche de produire du whisky en sachets impropre à la consommation.
Bio express
1980
Naissance des Quincailleries Fokou
1984
Création de l’activité BTP
1998
Achat des Aciéries du Cameroun
2004
Développement dans les gaz industriels
Comme à son habitude, l’industriel camerounais, qui a refusé tout entretien avec Jeune Afrique, fait profil bas, préférant l’ombre à une polémique autour de la qualité de ses produits.
Kribi
Le self-made-man aurait préféré voir les projecteurs se braquer sur le projet qui lui tient en ce moment le plus à coeur : la construction à Kribi (au sud du pays) d’une usine de fabrication de fer à béton et d’autres produits dérivés de ce minerai.
Cet investissement, d’un montant de 30 milliards de F CFA (46 millions d’euros) a été acté l’année dernière par le gouvernement et permettrait de transformer une partie du minerai. Celui-ci sera issu de l’exploitation du gisement de Mbalam-Nabeba, à cheval sur la frontière entre le Cameroun et le Congo. Ce projet viendrait consolider la présence du groupe Fokou dans la métallurgie et la sidérurgie depuis que, à la surprise générale, celui-ci a acheté, en juillet 1998, les Aciéries du Cameroun, joyau industriel du groupe camerounais.
Ce natif de Bansoa, importante communauté du pays bamiléké, doit notamment ce coup de maître à ses succès économiques dans la première moitié des années 1980. Propriétaire de la célèbre boucherie Ben le boucher, à Yaoundé, il réussit alors à obtenir l’exclusivité de l’approvisionnement du restaurant universitaire en vivres frais, puis remporte le marché de la construction du mur d’enceinte de l’université.
Il garde un pied en politique : une police d’assurance pour ses affaires.
« C’est à ce moment qu’il entreprend de faire son marché en Asie pour exécuter les travaux et découvre qu’il peut massivement importer des matériaux de construction », lâche l’un de ses proches. Ainsi démarre d’ailleurs l’aventure des quincailleries Fokou, auxquelles son nom reste largement associé dans l’imagerie populaire.
Énigme
Mais le véritable coup de pouce intervient une décennie plus tard. Avec l’aide bien involontaire du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Au milieu des années 1990, les deux institutions autorisent en effet le Cameroun, empêtré dans des difficultés de trésorerie, à titriser sa dette.
Principal fournisseur de l’administration, Bernard Fokou est alors détenteur d’une énorme créance sur l’État, fruit d’une accumulation de factures non réglées durant la période la plus critique de la crise économique nationale. Il parvient à faire transformer cette dette en obligations du Trésor à coupon zéro qu’il place ensuite auprès des banques. Et récupère alors une somme très importante.
« C’est à partir de cet instant que ses affaires décollent véritablement », se souvient un industriel du pays selon lequel Bernard Fokou possède actuellement le premier groupe privé à capitaux exclusivement camerounais. Un empire dont personne ne connaît vraiment la taille…
Des métiers très variés
– Métallurgie et sidérurgie
– Boissons et spiritueux (Sofavinc et Emif)
– Transformation du bois (SCTB)
– Agroalimentaire (New Foods)
– Transit (Sotrascam)
– Courtage (OAC)
– Gestion des déchets (Bocam)
– Fabrication des peintures (Smalto)
– Plasturgie (Sofamac)
– BTP (Foberd)
– Et aussi : ameublement et décoration, etc.
D’ailleurs, le groupe Fokou se garde de dévoiler ses résultats et son tour de table demeure une énigme. « Il reste le propriétaire exclusif de son groupe », assure-t-on toutefois dans son entourage. Mieux, il conserve une empreinte forte dans la distribution et joue à la fois la carte du grossiste et celle du détaillant.
Son réseau s’étend dans la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique de centrale (Cemac), à l’exception de la Guinée équatoriale, et touche l’enclave angolaise du Cabinda où se trouve l’un de ses magasins. La proximité avec Pointe-Noire, deuxième point d’ancrage important du groupe, où est implantée entre autres la Société congolaise de fabrication de produits alimentaires (Sofapral), y est certainement pour quelque chose.
Concentration
Derrière cette filiale congolaise se cache une série d’activités a priori éloignées les unes des autres, qui dévoile le goût du promoteur pour la concentration. « On y fabrique des matériaux de construction tels que les pointes, les treillis soudés, les fils d’attache, révèle un de ses collaborateurs. Mais, à l’intérieur, on trouve aussi une savonnerie et une unité de fabrication des boissons et spiritueux. »
Un modèle qu’il a reproduit presque à l’identique au Gabon, via la Société gabonaise de matériaux de construction (Sogamatec). Au sein de New Foods, son vaisseau amiral dans l’agroalimentaire, on produit, en dehors d’une cartonnerie, du sel, de la margarine, du chocolat, de la confiserie, du bouillon en cubes, des tomates en boîte et bientôt de la mayonnaise.
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Entrepreneurs par essence
Encarté au Rassemblement démocratique du peuple camerounais RDPC, parti au pouvoir, cet ancien adjoint au maire de Penka-Michel (où se situe Bansoa) que l’on dit proche de certaines figures éminentes du sérail, à l’instar de Joseph Owona et Édouard Akame Mfoumou, garde un pied en politique comme d’autres opérateurs économiques – une police d’assurance pour ses affaires. Son nom apparaît souvent dans la fameuse sous-commission de l’intendance et de la logistique, qui réunit les militants les plus fortunés et se charge du financement des événements d’envergure organisés par cette formation politique.
Relève
Pour mener sa barque, Bernard Fokou prend soin de s’entourer des siens. Sa bienveillance envers sa communauté d’origine l’a amené à recruter nombre de ressortissants bansoas qui essaiment à tous les échelons de la branche distribution. Depuis une décennie, il associe aussi ses héritiers à la gestion des affaires familiales. Sa fille Trésor dirige Sofavinc, tandis que l’un de ses fils, Anicet, vient d’intégrer le management de Fokou Distribution. Yves, l’aîné, a longtemps dirigé l’entreprise de transformation de bois, à la périphérie de la capitale. Une manière pour ce sexagénaire de préparer la relève. Mais son entourage affirme que le passage de témoin ne pointe pas encore à l’horizon.
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