La Caisse marocaine des retraites dans le rouge

Pour la première fois de son existence, La Caisse marocaine des retraites affichera un solde déficitaire cette année. Pis, l’organisme devrait épuiser toutes ses réserves d’ici à 2021…

La Caisse marocaine des retraites est victime de sa générosité excessive. © Hassan Ouazzani/JA

La Caisse marocaine des retraites est victime de sa générosité excessive. © Hassan Ouazzani/JA

Publié le 3 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

C’est une véritable bombe à retardement. Dans sept ans, la Caisse marocaine des retraites (CMR), organisme qui gère les pensions des fonctionnaires de l’État et des collectivités locales, sera à terre. Le compte à rebours a déjà commencé puisque le premier déficit sera constaté dès cette année. Et il sera conséquent. « Nous allons enregistrer un déficit de 200 à 300 millions de dirhams [de 17,8 à 26,7 millions d’euros] en 2014. Si rien n’est fait, nos réserves seront totalement épuisées en 2021 », alerte Mohamed El Alaoui El Abdellaoui, directeur général de la CMR.

Si le Maroc en est arrivé là, c’est tout simplement en raison de la générosité excessive de la Caisse.

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Sans pension

Le constat est amer. Dans sept ans donc, des milliers de retraités de la fonction publique risquent de se retrouver sans pension. Et ceux qui travaillent encore dans les services de l’État pourraient dire au revoir à leurs droits déjà acquis. Il s’agit bien sûr d’un scénario catastrophe.

« Le gouvernement a toutes les données en main. Nous avons besoin d’une décision politique aujourd’hui », déclare le patron de la CMR, un ancien gestionnaire d’actifs nommé en 2010 à la tête de la Caisse pour essayer de sauver les meubles.

Si le Maroc en est arrivé là, c’est tout simplement en raison de la générosité excessive de la Caisse. « Le régime offre pour chaque année de cotisation une annuité de 2,5 %, soit un taux de remplacement qui peut atteindre 100 % du dernier salaire. C’est l’un des principaux facteurs d’aggravation du déséquilibre du régime », explique sans détour un récent rapport de la Cour des comptes.

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Pour un taux de cotisation de 20 % (part patronale comprise), le régime civil peut vous servir jusqu’à 100 % de votre salaire après seulement trente et une années de travail. À titre de comparaison, un fonctionnaire français doit travailler quarante-quatre ans au moins pour atteindre ce seuil.

Mais ce n’est pas tout, la CMR se montre encore plus généreuse quand il s’agit d’évaluer le montant à verser. Contrairement à la CNSS, la Caisse nationale de sécurité sociale consacrée aux salariés du privé, qui calcule la retraite sur la base du salaire moyen des huit dernières années de travail, la CMR, elle, s’appuie uniquement sur le dernier salaire, généralement plus élevé que la rémunération moyenne perçue tout au long d’une carrière. Un avantage dont ne jouissent pas les fonctionnaires espagnols par exemple, dont la pension est valorisée sur la base du salaire des vingt-cinq dernières années de travail.

Impasse

Ce caractère trop généreux est aggravé par le chamboulement du rapport démographique dans la fonction publique. En 1986, douze actifs cotisaient pour payer la retraite d’une seule personne. Aujourd’hui, on n’en compte plus que trois. En 2024, le rapport sera totalement inversé. Le régime (s’il existe encore) comptera plus de retraités que d’affiliés cotisants.

JA2785p109 info retraites MarocUne tendance de fond difficile à renverser, quand on sait que toutes les politiques publiques menées depuis le début des années 2000 ont eu pour objectif de baisser le nombre d’employés de l’administration. Un point sur lequel Driss El Azami El Idrissi, le ministre délégué au Budget, est catégorique : « La masse salariale de l’État va dépasser les 100 milliards de dirhams cette année, soit le tiers de son budget et plus de la moitié des recettes ordinaires. C’est un record. L’État ne peut plus se permettre de recruter autant qu’avant. » Une impasse.

Remède

Faute d’un nombre de cotisants suffisant, la seule solution possible pour sauver la caisse est de jouer sur les paramètres du régime. Faire passer l’âge du départ en retraite à 62 ou 65 ans, relever le taux de cotisation, abaisser le niveau des prestations… Un programme qui devrait être entériné dans quelques semaines.

« La commission nationale chargée du dossier devrait se réunir début juin et valider en principe cette modification paramétrique. Laquelle constitue la première étape de la grande réforme des retraites, qui verra le regroupement de toutes les caisses du pays en deux organismes : l’un pour le public, l’autre pour le privé, confie le directeur général de la CMR. À moins que les syndicats ne s’y opposent. »

Ce remède, recommandé par la Cour des comptes et par toutes les commissions techniques qui ont travaillé sur le sujet, a en effet du mal à passer auprès des représentants des fonctionnaires. « On nous demande de travailler plus, de cotiser plus et de gagner moins une fois retraités. L’État a failli à ses responsabilités, et c’est à nous de payer les pots cassés. Il n’en est pas question », lance Miloudi Moukharik, le secrétaire général de l’Union marocaine du travail, l’un des syndicats les plus importants du pays. Un argument valable, que le directeur général de la CMR balaie cependant d’un revers de la main : « Les retraités ne vont pas toucher moins. Ils touchent déjà deux fois plus. On ne cherche pas à baisser notre prestation, on veut surtout trouver le juste prix. »

« Un zinzin de moins »

Les difficultés que connaît la Caisse marocaine des retraites (CMR) dépassent le spectre réduit des fonctionnaires et des retraités du public pour s’étendre à toute l’économie du pays.

En épuisant d’ici à 2021 ses 80 milliards de dirhams (7,1 milliards d’euros) de réserves actuelles, la CMR ne sera plus le gros « zinzin » (surnom donné aux investisseurs institutionnels) que l’on connaît, actionnaire minoritaire de nombreuses sociétés cotées à Casablanca, d’Attijariwafa Bank à Lesieur Cristal.

« Nous avions l’habitude de placer nos réserves sur des investissements longs, projets d’infrastructures, bons du Trésor à long terme, fonds de private equity… Ce ne sera plus possible désormais », explique le patron de la Caisse. Ce qui privera l’État et le secteur privé d’une précieuse source de financement. La CMR a déjà commencé à revoir le profil de ses placements, réduisant la durée de son portefeuille à… sept ans.

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