« Tsunami » antijaponais

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Junichiro Koizumi, le Premier ministre japonais, n’oubliera pas de sitôt le week-end des 9 et 10 avril : les manifestations organisées un peu partout, en Asie, pour protester contre un nouveau manuel scolaire minimisant les responsabilités du Japon pendant la dernière guerre, ont été, en Chine, les plus importantes depuis celles de la place Tien Anmen.

C’est en fait le projet de réforme de l’ONU qui a déclenché tout le processus, avec la promesse faite au Japon qu’il obtiendrait prochainement un siège au Conseil de sécurité. Au mois de mars, tollé sur Internet, avec une pétition émanant de ressortissants chinois aux États-Unis et signée, en quelques jours, par plusieurs dizaines de millions de personnes exprimant leur vigoureuse opposition à la candidature d’un pays n’ayant jamais reconnu ses crimes. Les Chinois attendaient alors un « geste » de leur voisin japonais, devenu « un pays normal », soucieux de manifester ses regrets des drames du passé. Ils n’obtinrent que l’homologation, par le gouvernement de Junichiro Koizumi, d’un manuel scolaire révisionniste rédigé par un organisme d’extrême droite, l’Association pour une nouvelle rédaction de l’histoire, qui rejette la responsabilité des guerres sino-japonaises sur la seule Chine, qualifie le massacre de Nankin (plus de 300 000 morts civils chinois) de simple « incident » et supprime toute référence au sort tragique des « femmes de confort » chinoises et coréennes.
Très vite, un sentiment d’injustice et d’humiliation a poussé des milliers de jeunes gens dans les rues des villes chinoises. À Pékin, des pierres ont été lancées sur l’ambassade du Japon. À Chengdu, des vitrines de magasins japonais ont été brisées. À Shanghai, des étudiants ont été malmenés dans un restaurant. Des faits isolés, aussitôt présentés comme un « déchaînement de violence » par Tokyo et jugés « regrettables » par le porte-parole de la Maison Blanche, qui voient derrière ces manifestations la main des autorités de Pékin.

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Il est vrai que, pour la première fois depuis trente ans, le gouvernement chinois n’avait pas jugé bon d’interdire ou de réprimer ces manifestations, conscient qu’en s’y opposant il aurait pris le risque d’aggraver son impopularité en une période de transition économique et sociale déjà délicate. En effet, depuis la normalisation des relations diplomatiques avec Tokyo opérée, sans obtention d’excuses officielles ni versement de dommages de guerre, par Mao Zedong et Zhou Enlai, la préoccupation constante des dirigeants chinois de ménager leurs relations avec le Japon a toujours été mal acceptée par la population. Paradoxalement, c’est donc le début de libéralisation politique et économique des années 1980 qui aura favorisé l’expression de plus en plus généralisée de sentiments antijaponais enfouis dans la conscience collective.

En allant s’incliner chaque année au sanctuaire shinto de Yasukuni pour honorer la mémoire de criminels de guerre, Koizumi n’a fait que jeter de l’huile sur un feu qui couvait depuis longtemps, contraignant Pékin à rompre tout contact avec le Japon au plus haut niveau. Malgré son raidissement récent, le gouvernement chinois reste critiqué par sa population pour sa « mollesse ». Certains stratèges estiment que les autorités n’ont pas compris que le Japon est en train de changer de stratégie, en prenant acte de la montée en puissance de la Chine pour la contrecarrer par une politique de plus en plus « offensive ».

Tokyo, qui avait coutume d’éluder, en même temps que ses responsabilités historiques, les conflits avec ses voisins, dont la Russie, la Corée du Sud et la Chine, semble aujourd’hui ne plus vouloir épargner que son allié inconditionnel, George W. Bush, au point de faire de Taiwan « un objectif stratégique commun » avec les États-Unis. On chercherait en vain un signe d’apaisement depuis les derniers incidents. Bien au contraire : le gouvernement japonais vient d’« autoriser les entreprises privées à commencer l’exploitation du pétrole dans la mer d’Orient », une zone dont la Chine et le Japon se disputent la souveraineté. Une « grave provocation », porteuse d’une nouvelle dégradation des relations entre les deux pays, qui pose aussi des questions : le Japon peut-il accepter l’émergence de la Chine comme première puissance de la région ? Et la Chine le considérera-t-elle jamais comme un pays « normal » ? Pour Pékin, la réponse est simple : il lui faudra avoir tout d’abord reconnu ses responsabilités, comme l’a fait l’Allemagne depuis près d’un demi-siècle.

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