Tarik, ou le Maroc sans tabous

Cinq ans après sa création, cette maison, qui s’est fait connaître par ses ouvrages engagés, est devenue un acteur clé du secteur dans le royaume.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

En janvier 2001, les éditions Tarik font paraître Tazmamart. Cellule 10, d’Ahmed Marzouki. Dans ce livre, un officier impliqué dans la tentative de coup d’État de Skhirat en 1971* raconte l’atrocité au quotidien dans le tristement célèbre bagne où il a été enfermé pendant vingt ans avec 58 autres militaires. Les Marocains découvrent à travers ce témoignage une partie douloureuse de leur histoire longtemps occultée. Le succès ne se fait pas attendre : dépassant toutes les prévisions, le chiffre de vente atteint 25 000 exemplaires au Maroc, et autant en France.
Connue pour sa littérature très engagée à gauche, Tarik est alors une toute jeune maison. L’idée a germé début 1999 : « Mon amie Joëlle Lanux, qui travaillait à l’agence publicitaire Shem’s, de Nourredine Ayouch, m’a rendu visite au Carrefour des livres, se souvient Marie-Louise Belarbi, directrice de cette librairie bien connue du quartier Mâarif, et m’a proposé la création d’une maison d’édition. » Au début, elle décline la proposition, son activité de libraire absorbant tout son temps. Jusqu’au jour où elle reçoit la visite d’un ancien prisonnier politique, Abdelaziz Mourid, qui lui présente des planches de bande dessinée. En feuilletant ces documents, Marie-Louise Belarbi est bouleversée. Elle lui répond, presque inconsciemment : « Je t’édite… » Et rappelle sa copine Joëlle. Toutes deux fondent alors les éditions Tarik (prénom du petit-fils de Marie-Louise Belarbi).
Cette naissance coïncide avec l’avènement du règne de Mohammed VI, en juillet 1999. Les espérances qu’il suscite conduisent à la libération des esprits et… des plumes. Les tabous commencent à tomber, et l’histoire de la maison est intimement liée à ce mouvement. Le premier album de bande dessinée sort en juin 2000. Il a pour titre On affame bien les rats et raconte le calvaire des militants de l’extrême gauche dans les années 1970-1980. Il remporte un succès encourageant. L’activité éditoriale prend de l’ampleur. « Il nous fallait un gestionnaire, raconte Marie-Louise Belarbi. J’ai immédiatement pensé à Bichr Bennani. Je le connais depuis un certain temps : il exerce le même métier que moi, libraire. Surtout, je le trouve honnête et sérieux. Il a commencé par refuser le poste, puis s’est laissé convaincre. »
Un an après la publication du livre-témoignage de Marzouki, Tarik est devenu, aux côtés d’Eddif ou du Fennec, un acteur clé du secteur éditorial local. Ses publications ont le mérite d’aborder les grands problèmes de la société marocaine. Du livre d’Ignace Dalle, Le Maroc de Hassan II, l’espérance brisée (juin 2001) au best-seller de Mehdi Bennouna, Héros sans gloire (juin 2002), en passant par le bel ouvrage d’Abraham Serfaty et Christine Daure, La Mémoire de l’autre (septembre 2002), les éditions Tarik confrontent les Marocains à leur propre histoire – aussi dure soit-elle.
Mais le succès ainsi obtenu a son revers : les textes édités jusque-là risquent de « cataloguer » la maison, en l’enfermant dans le seul registre des « années de plomb ». C’est pourquoi Marie-Louise Belarbi et Bichr Bennani optent pour la diversification : dès mai 2001, ils font paraître de petits ouvrages au prix modique de 30 dirhams (moins de 3 euros), accessibles à un lectorat plus large. La majorité des romans de Mohammed Khaïr-Eddine (interdits au Maroc pendant tout le règne du roi Hassan II) ont ainsi été publiés, connaissant eux aussi un succès honorable.
Pourtant, les éditions Tarik traversent aujourd’hui une crise financière qui risque de les conduire la fermeture. « Il faut se rendre à l’évidence, affirme Bichr Bennani, le livre n’intéresse pas les distributeurs, qui privilégient la vente des journaux. » « Ce que nous faisons à Tarik éditions, c’est un peu du bénévolat », conclut Marie-Louise Belarbi, amère, mais nullement résignée.

* Lors de la réception organisée pour le 42e anniversaire de Hassan II, des sous-officiers rebelles dirigés par le colonel Ababou avaient fait irruption dans le palais de Skhirat et s’étaient livrés à un véritable massacre, sans pour autant tuer le roi, qui avait réussi à se mettre à l’abri.

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