Phnom Penh aux mains des Khmers rouges

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

En ce début de 1975, après cinq années d’affrontements entre le gouvernement du maréchal Lon Nol et le Front uni national du Kampuchéa (Funk) – mais aussi le largage sur le pays de 540 000 t de bombes américaines -, tous les Cambodgiens souhaitent la fin de la guerre. Leur voeu est bientôt exaucé : le 17 avril, Phnom Penh, la capitale, tombe aux mains du Funk. Autrement dit des Khmers rouges. « La population acclamait les vainqueurs. Les soldats de l’armée républicaine déposaient volontairement les armes. Les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh avec l’estime des assiégés. Ce n’était plus une reddition, c’était un soulagement général. »
Ces phrases sont extraites du livre de Pin Yathay : L’Utopie meurtrière. Sous-titre : Un rescapé du génocide cambodgien témoigne. Le soir même de la chute de Phnom Penh, l’auteur a le pressentiment qu’il se trame « des choses insolites ». Il ne croit pas si bien dire. Entre le 17 avril 1975 et l’intervention de l’armée vietnamienne en janvier 1979, le Cambodge va en effet être le théâtre de l’un des génocides les plus meurtriers de l’Histoire : entre 1,7 million et 2 millions de morts, sur 7 millions d’habitants. En 1990, le nombre d’habitants du pays restait inférieur à ce qu’il était en 1970.
Pourquoi une telle hécatombe ? D’abord, à cause de la « ruralisation » : le soir même de l’occupation de Phnom Penh, les Khmers rouges commencent à évacuer ses habitants vers les campagnes, où ils seront décimés par le travail forcé, l’épuisement, les famines et les épidémies. « Au Kampuchéa démocratique, raconte Pin Yathay, il n’y avait pas de prisons, pas de tribunaux, pas de lycées, pas de monnaie, pas de postes, pas de livres, pas de sport, pas de distractions… Aucun temps mort n’était toléré. La vie quotidienne se divisait ainsi : douze heures de travaux physiques, deux heures pour manger, trois heures pour le repos et l’éducation, sept heures de sommeil. Nous étions dans un immense camp de concentration. » Au moins neuf cent mille personnes mourront de faim et/ou de maladie.
Dans Le Livre noir du communisme, Jean-Louis Margolin évalue à environ cinq cent mille le nombre des exécutions ordonnées par le « Centre » du Parti. « La sauvagerie du système, écrit-il, réapparaît au moment de l’exécution. La fusillade n’était pas la méthode la plus courante : 29 % des victimes. Par contre, on a recensé 53 % de crânes écrasés (à la barre de fer, au manche de pioche, parfois à la binette), 6 % de pendus et asphyxiés (au moyen d’un sac en plastique), 5 % d’égorgés comme de battus à mort. » Pour les exécutions « exemplaires », les Khmers rouges avaient recours à « des modalités particulièrement barbares, où le feu (purificateur) semble jouer un grand rôle : ensevelissement jusqu’à la poitrine dans une fosse remplie de braises, crémation des têtes au pétrole »…
Les chefs d’orchestre de ces horreurs – jusqu’à ce jour impunis ! – sont connus. Le Centre du Parti était composé de :
– Pol Pot, le « frère numéro un », secrétaire général depuis février 1963, mort en 1998 ;
– Nuon Chea, Premier ministre, toujours en vie et en liberté ;
– Ieng Sary, vice-Premier ministre, beau-frère de Pol Pot, toujours en vie et en liberté ;
– Khieu Sampan, président des Khmers rouges, toujours en vie et en liberté ;
– Son Sen, ministre de la Défense, décédé.
Les seuls dignitaires khmers rouges aujourd’hui incarcérés sont Ta Mok, le chef militaire, et Deuch, l’ancien directeur du centre de torture de Tuol Sleng.
À la fin du mois dernier, quelque trente ans après la prise de Phnom Penh et le début du génocide, l’argent nécessaire à l’organisation d’un procès n’était pas encore tout à fait réuni par les Nations unies. Sur les 56 millions de dollars requis, 38 millions avaient été trouvés, dont 21 millions promis par le Japon et 23 millions par le Cambodge. Le 28 mars, Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, a estimé qu’« une partie des fonds devrait être débloquée très rapidement » et que « nous devrions disposer d’un an de contributions en liquide pour commencer les travaux ». Mais le procès ne s’ouvrira « vraisemblablement pas cette année ».

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