Paris, rue du fait divers

Une balade originale dans quelque huit cents lieux de la capitale française, tous théâtres d’événements plus ou moins dramatiques.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Qui l’aurait cru ? La ville qui passe pour être la plus belle du monde fut aussi l’une des capitales du crime. Paris, théâtre de toutes les horreurs, voilà qui change des scènes pailletées du Moulin-Rouge ou des Folies-Bergère ! Le Guide du Paris des faits divers nous fait emprunter une piste souvent pavée de mauvaises intentions, qui nous promène des rues tortueuses du Moyen Âge aux larges avenues du xxe siècle. Une balade dans plus de huit cents lieux, rues, avenues, places ou impasses, témoins de mille événements plus ou moins dramatiques.
Si l’expression « fait divers » n’est apparue qu’à la fin du XIXe siècle avec la presse de grande diffusion, l’intérêt pour les événements rares, spectaculaires ou morbides remonte au XVe. À cette époque, des colporteurs diffusaient des feuilles de chou qui relataient, détails croustillants à l’appui, les crimes les plus sordides et les phénomènes hors normes qui « ne pouvaient être inventés puisque c’était écrit ».
Voilà donc un florilège du voyage éternel de la bassesse humaine en vingt arrondissements. Autant d’étapes où l’on découvrira que les noms de certaines artères – rue de la Petite-Truanderie (1er arrondissement), rue Vide-Gousset (2e) – ne riment pas forcément avec délinquance, et que d’autres toponymes tels que la rue de l’Hôtel-Dieu (4e arrondissement) ne tiennent pas leurs promesses de félicité, dissimulant souvent sous leurs consonances aux accents de paradis les cris infernaux des damnés.
Bienvenue dans les artères de la capitale française où le sang a souvent allégrement coulé, pour ceux qui n’avaient pas de veine… Comme mise en bouche pour dévorer ce pavé de près de 400 pages, rien de tel que l’histoire de ce maître-pâtissier dont les pâtés en croûte étaient si réputés qu’on venait de loin pour les acheter. Nous sommes en 1387, et c’est dans la rue des Marmousets que ce pâtissier tient son florissant commerce. Qui a dit que le crime ne paie pas ? Son affaire aurait pu continuer à prospérer si un chien n’avait mis les pieds dans le plat en hurlant à la mort des jours et des nuits devant l’échoppe du barbier, voisine de celle du pâtissier. Son maître, un étudiant étranger, avait subitement disparu. Les policiers, flairant une drôle d’affaire, font un soir irruption chez le barbier et y découvrent un cadavre saigné de près par celui-ci, à défaut d’être rasé. L’indélicat égorgeait ses clients, puis, par une trappe, faisait basculer les corps dans la cave de son complice le pâtissier, qui les découpait et les hachait menu pour en farcir ses pâtés. Parce qu’au Moyen Âge les maisons des assassins étaient rasées (y compris celles des barbiers crapuleux) pour mieux exorciser leurs crimes, la rue des Marmousets est elle aussi passée à la trappe, remplacée par l’Hôtel-Dieu.
Tous les faits divers n’ont pas des relents de cannibalisme. Certaines artères de la ville, témoins d’incidents historiques, sont entrées dans la postérité. Le n° 11 de la rue de la Ferronnerie (9e arrondissement) restera célèbre pour avoir été le lieu de l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac, le 14 mai 1610. Mais c’est le 8e arrondissement qui remporte la médaille des attentats contre de hauts représentants de la France. Si Napoléon III échappe aux coups de feu d’un carbonaro italien, rue Balzac, le 28 avril 1855, Paul Doumer succombera au coup de pistolet tiré par un Russe le 6 mai 1932, rue Berryer. Le meurtrier, qui faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion pour exercice illégal de la médecine, a avoué avoir tiré sur le président « pour forcer la France à lutter contre les bolchéviques. » Quatre-vingts ans plus tard, Jacques Chirac sera dans la ligne d’un activiste d’extrême droite pendant la revue du 14 Juillet 2002, avenue des Champs-Élysées.
La rue Rochechouard est célèbre pour une autre raison. Landru, le Barbe-Bleue de Gambais (du nom de la commune des Yvelines où il emmenait ses fiancées pour un voyage sans retour), y fut arrêté le jour de ses 42 ans, le 12 avril 1919, pour l’assassinat de onze femmes. Devant la guillotine où il sera exécuté le 25 février 1925, il refuse le traditionnel verre d’alcool et une dernière cigarette, répliquant : « C’est mauvais pour la santé. » Un autre assassin, qui ne s’en prenait, lui aussi, qu’aux femmes sans défense, défrayera la chronique en 1998. Il s’agit de Guy Georges, plus connu sous le surnom du tueur de l’Est parisien. Repéré dans le 9e arrondissement (celui-là même où Landru fut pincé !), il est arrêté place Blanche, le 27 mars.
Ce guide ne recense pas seulement les meurtres les plus sordides. Il relate aussi des délits qui n’en seraient pas aujourd’hui, mais qui, en leur temps, étaient passibles de lourdes peines. Telle l’histoire de cette jeune cycliste arrêtée le 9 octobre 1898, place Saint-Germain-des-Prés, parce qu’elle pédalait « les jupons retroussés, sans pantalon, avec aux jambes de simples chaussettes ». Malgré la plaidoirie de son avocat qui avait fait remarquer que « sur les plages et dans les bals privés les femmes les plus honnêtes en montrent davantage », elle fut condamnée à huit jours de prison ferme pour outrage à la pudeur !
En 1969, un travesti arrêté pour s’être promené nu sous son manteau, place de la République, s’en sortira nettement mieux avec une condamnation de six mois de prison avec sursis, et 1 000 francs d’amende. Malgré le curieux prétexte invoqué pour excuser sa nudité : « Il faisait un peu chaud », il s’en est tiré… à moindre frais
Crimes, délits, outrages aux moeurs, les siècles passent, les mêmes transgressions de l’ordre établi se reproduisent et fascinent le badaud qui sommeille en nous. « Le fait divers transforme les lecteurs en rescapés, et ramène brutalement dans leur quotidien la Mort qui a cessé d’être familière », écrivent les auteurs du livre. Si Paris ne s’est pas fait en un seul jour, il s’est érigé autour de milliers de crimes.

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