Mbeki a-t-il réussi ?

La lettre-recommandation adressée par le médiateur sud-africain aux protagonistes de la crise a étonné par sa longueur, sa précision juridique et ses précautions de langage. Quant à son contenu, il a le mérite d’être clair.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Le 6 avril, à 14 heures, au moment où Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara, Guillaume Soro et Seydou Elimane Diarra signaient l’accord de Pretoria, Thabo Mbeki annonçait qu’il ferait part de sa décision sur les conditions d’éligibilité à la présidence de la République « dans une semaine ». Exactement sept jours plus tard, le 13 avril, quasiment à la même heure, deux enveloppes cachetées arrivent à Abidjan – à la présidence et à la primature – tandis qu’une troisième est remise par voie diplomatique à Guillaume Soro, qui séjourne à Accra après avoir quitté l’Afrique du Sud. Il la fera parvenir à ses amis de Bouaké le lendemain. À Paris, il est 14 heures, toujours ce 13 avril, quand un diplomate sud-africain se rend chez Bédié puis chez Ouattara pour leur remettre en mains propres le même pli.
À l’intérieur, une chemise en papier glissée dans une pochette plastique, elle-même contenant la lettre tant attendue. Elle est rédigée en anglais. Mbeki n’avait quasiment pas donné signe de vie depuis qu’il a pris congé des protagonistes de la crise ivoirienne, à l’issue de leur rencontre, le 6 avril. Il n’a pas soumis de brouillon aux quatre principaux responsables politiques, ni consulté l’équipe de conseillers juridiques du Premier ministre Seydou Diarra, qui avait pourtant participé à la rédaction de l’accord. Ses collaborateurs n’ont contacté les parties ivoiriennes que le 12 avril pour leur signaler le départ de la lettre de Pretoria, par valise diplomatique.
Pour autant, le contenu de sa longue missive de trois pages n’a surpris personne, et surtout pas les trois hommes qui étaient parvenus à un compromis le 5 avril, en fin d’après-midi, quand Gbagbo avait demandé un entretien privé avec Bédié, son prédécesseur, et Ouattara, l’ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, en présence de Mbeki, mais sans interprète.
La lettre-recommandation a étonné par sa longueur, sa précision juridique et ses précautions de langage. Quant à son contenu, il a le mérite d’être clair. Grâce au recours à l’article 48 de la Constitution, le président de la République peut faire jouer ses pouvoirs exceptionnels pour contourner les difficultés posées par l’article 35 et autoriser la candidature des personnalités « présentées par les parties signataires de l’accord de Linas-Marcoussis » en vue de l’élection qui, rappelle-t-on, se tiendra en octobre (la date du 25 a même été précisément évoquée à Pretoria). Mbeki n’a pas lésiné sur les moyens et s’est entouré de juristes qui ont décortiqué et appris la Loi fondamentale ivoirienne, qu’ils ont fini par connaître sur le bout des doigts. À la fin juillet 2004, n’était-ce pas déjà, entre autres, le président sud-africain, présent au sommet d’Accra, qui avait mentionné la possibilité d’avoir recours à l’article 48 pour contourner la difficulté de l’article 35 et de sa modification par voie référendaire ?
Cette fois-ci, grâce à sa casquette de médiateur de l’Union africaine (UA), c’est avec plus de force et avec l’assentiment des trois principaux intéressés que Mbeki entend obtenir le recours à cette ultime solution. « Je demande, conclut-il dans sa lettre, que les mesures nécessaires soient prises aussi vite que possible pour donner une force légale à la proposition que j’ai faite, afin de mettre en oeuvre la décision des leaders de Côte d’Ivoire, telle qu’elle a été mentionnée dans le point 14 de l’accord de Pretoria. » Une démarche qu’il a pris soin de faire valider par la communauté internationale. Le 2 avril, à la veille du sommet de Pretoria, le successeur de Mandela avait ainsi rencontré Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’UA, à Pretoria. Juste après, le 6, il a téléphoné à Olusegun Obasanjo, le président en exercice de l’UA, puis, le lendemain, à Kofi Annan, alors à Genève. Après avoir pris l’avis des Africains, il s’est entretenu avec Jacques Chirac le 7 avril, tandis que les ministres des Affaires étrangères français et sud-africain prenaient langue au cours du week-end. Mbeki a également discuté au téléphone avec Tony Blair et George W. Bush, à leur retour des obsèques de Jean-Paul II, le 8 avril. Les trois membres permanents du Conseil de sécurité auront en effet leur rôle à jouer au moment de voter la résolution qui consacrera les fruits de la médiation Mbeki, et portera sur la nomination du « superviseur » des Nations unies autorisé à prendre part aux travaux de la Commission électorale indépendante et du Conseil constitutionnel (point 10 de l’accord de Pretoria). La résolution est attendue pour la fin avril, quelques jours après la réactivation du processus Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) et le réexamen par l’Assemblée nationale de certaines des lois adoptées en décembre – mais jugées non conformes ni à l’esprit ni à la lettre de Marcoussis.
Encore une fois, Mbeki a obtenu que tous suivent sa méthode : précaution maximale (à la dernière minute, la présidence a contacté son ambassade à Paris pour insister sur le fait que le pli devait être remis en mains propres à Bédié et à Ouattara par un diplomate de haut rang), secret bien gardé et sens des responsabilités de chacun. À l’arrivée du courrier, les dirigeants du Rassemblement des républicains (RDR), du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et des Forces nouvelles (ex-rébellion) se sont donc abstenus de tout commentaire public et de tout triomphalisme, même si la décision leur est favorable. Ils ont laissé au président Gbagbo le soin d’annoncer au pays le message de son homologue sud-africain. La lettre est traduite en français et lue, le 13 au soir, à l’antenne de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) par Désiré Tagro, le porte-parole du chef de l’État ivoirien. Le lendemain, Abidjan est resté calme. Les manchettes de la « presse bleue » (Notre Voie, Le Courrier d’Abidjan, Le Temps…), comme certains appellent ici les journaux favorables au président Gbagbo, semblaient se résigner à la remise en selle de Ouattara. Malgré quelques coups de griffes. Les regards se tournent déjà vers Bouaké, fief de l’ex-rébellion, où une importante délégation du Premier ministre et un groupe de sept experts sud-africains se sont rendus pour la relance du processus DDR et la reprise du dialogue entre les états-majors des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), autre étape concrète de l’accord de Pretoria. Qui en compte beaucoup d’autres. Mais après l’échec des multiples médiations d’hier, dont Mbeki semble avoir tiré des leçons, l’espoir renaît, davantage partagé qu’il ne l’a sans doute jamais été.

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