Les dessous d’une victoire

Boycottée par l’opposition, la présidentielle du 8 avril a reconduit le chef de l’État sortant. Non sans controverses.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Depuis l’introduction du multipartisme en septembre 1992, Djibouti vit au rythme du débat lors de chaque consultation électorale. Mais la présidentielle du 8 avril n’aura pas connu de suspense : seul à s’y présenter, le président sortant, Ismaïl Omar Guelleh (IOG) était assuré de voir son bail renouvelé. Retour au parti unique ? Pas si sûr. La classe politique (voir encadré page 36) est au moins aussi complexe que la composition de la population du pays, répartie en deux grands groupes ethniques comptant, chacun, de nombreux clans et tribus. Mais elle n’en est pas un reflet mécanique. Il n’existe pas de parti à composante ethnique. Les chances de succès d’une formation politique sont tributaires de l’équilibre sociologique de son état-major. Mais revenons au scrutin du 8 avril. Pourquoi l’opposition s’est-elle abstenue de présenter un candidat ? Pourquoi a-t-elle appelé au boycottage actif, une première dans l’histoire du pays ?
Ancien patron des services de sécurité intérieure et extérieure, ex-chef de cabinet de son prédécesseur Hassan Gouled Aptidon, père de la nation, IOG avait été élu en avril 1999 avec 74 % des suffrages exprimés, contre 26 % pour Moussa Ahmed Idriss, candidat de l’opposition modérée. Quant à l’opposition radicale incarnée par les irrédentistes afars du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud), elle avait choisi la voie des armes depuis 1991 et refusé de participer au scrutin.
Une fois au pouvoir, IOG accorde la priorité à son action en faveur de la paix. À l’issue de longues et harassantes négociations menées à Paris, des accords sont signés, le 12 mai 2001. Ils mettent fin à la rébellion armée, et son leader, Ahmed Dini, ancien Premier ministre, rentre de son exil en France, crée son parti et devient le leader charismatique de l’opposition, qui s’organise en bloc politique face à l’alliance au pouvoir. La première confrontation a lieu aux législatives de janvier 2003. Elle tourne à l’avantage des partisans d’IOG et le mode de scrutin prive ses adversaires de toute représentation au Parlement. Autre coup dur : Ahmed Dini décède en septembre 2004. L’opposition se trouve orpheline, ses principaux leaders n’ayant pas suffisamment d’envergure pour affronter IOG. D’autant que le bilan de ce dernier est loin d’être catastrophique : un complexe portuaire en voie d’achèvement, la construction de milliers de logements sociaux, une usine de dessalement d’eau opérationnelle depuis le 20 février 2004. IOG a tenu ses promesses électorales de 1999. Djibouti est sans doute le seul pays à avoir tiré profit des attaques du 11 septembre 2001. La guerre mondiale contre le terrorisme a renforcé son attrait géostratégique. L’US Army négocie, en janvier 2003, l’installation d’une base, et le gouvernement du Premier ministre Dileita Mohamed Dileita obtient une réévaluation du loyer de la base française. Résultat : Français et Américains paient, respectivement, 20 millions d’euros et 30 millions de dollars chaque année. Une manne globalement bien utilisée.
Durant le premier mandat d’IOG, l’investissement public s’élève à 132 milliards de francs djiboutiens (environ 600 millions d’euros). Cependant, une croissance moyenne de 3 %, face à une démographie de 2,8 % couplée à une inflation de 2 % annuels, s’avère insuffisante pour lutter contre la pauvreté qui frappe près de 45 % de la population. C’est pourquoi le chef de l’État mise sur l’investissement privé, national et étranger. Le patronat djiboutien, composé d’hommes d’affaires locaux ou de la diaspora, le soutient et finance la totalité de sa campagne (150 millions de francs djiboutiens, soit près de 700 000 euros). Au plan politique, l’adoption d’un nouveau code de la famille, l’obligation pour les partis de présenter des candidatures féminines conforte l’assise électorale du candidat IOG : selon les observateurs étrangers (Francophonie et Ligue arabe), les électrices n’ont pas boudé le scrutin du 8 avril.
L’opposition avait conscience qu’IOG partait avec plusieurs longueurs d’avance. La disparition prématurée de son candidat naturel, Ahmed Dini, la mettait dans une situation inconfortable. En novembre 2004, Ismaïl Guédi Harid, un de ses leaders, tente de prendre langue avec le président sortant et charge Ali Farah Waberi, secrétaire général de l’Alliance pour l’alternance démocratique, de faire passer le message à Haramous, la résidence privée d’IOG. L’intermédiaire est tout trouvé : Mohamed Boré. L’homme d’affaires djiboutien transmet la proposition quelques semaines avant le début de la campagne électorale. IOG accepte le principe de cette rencontre et rendez-vous est pris. Mais Ismaïl Guédi Harid se défausse. Waberi, furieux, démissionne, le 21 mars, de son poste. L’opposition connaît un second couac. Guédi Harid, qui ne cesse de dénoncer le manque d’accès aux médias locaux, est invité à participer à l’émission politique la plus regardée de la télévision, Gros Plan. À la dernière minute, il fait faux bond et se perd en explications confuses. Dans ces conditions, IOG n’a aucune peine à se faire réélire, le 8 avril, avec 94 % des suffrages exprimés pour une participation de 78,9 %.
Il devrait inaugurer son deuxième mandat le 7 mai. Ce jour-là, Dileita Mohamed Dileita présentera la démission de son gouvernement. Son propre poste de Premier ministre est-il concerné ? Traditionnellement confié à un Afar, celui-ci fait l’objet de toutes les spéculations. Le président réélu dispose de trois options. Y maintenir son fidèle lieutenant Dileita, principal artisan de l’accord de paix du 12 mai 2001, qui a de nombreux succès à son actif. Choisir un Afar parmi les forces politiques alliées : le nom d’Ismaïl Ibrahim, actuel ministre de la Justice et porte-parole du Frud, circule avec insistance. Se détourner de la classe politique et opter pour un technocrate : dans ce cas, le candidat le plus sérieux serait Ali Ibrahim, patron de l’Office des prestations sociales.

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