La course d’obstacles du « Cavaliere »

Depuis le début de l’année, les déboires s’accumulent pour Silvio Berlusconi. Dernier en date : la déroute de sa coalition aux élections régionales.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Après avoir proclamé son intention d’aller coûte que coûte jusqu’au bout de son mandat, en mai 2006, Silvio Berlusconi va finalement devoir tirer les conséquences de sa défaite catastrophique lors des élections régionales partielles des 3 et 4 avril (six régions perdues sur huit détenues). À l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait si le président du Conseil italien choisira de remanier profondément son gouvernement ou de convoquer des élections législatives anticipées. Plusieurs de ses partenaires au sein de la coalition au pouvoir, notamment l’Alliance nationale (droite) et l’UDC (centre), avaient jugé le statu quo intenable. « Il serait sage d’éviter au pays une année de campagne électorale qui risque de se dérouler dans un climat empoisonné, marqué par la démagogie », avait par exemple estimé Marco Follini, le leader de cette dernière formation (et vice-président du Conseil). Même Luca Cordero di Montezemolo, numéro un de la Cofindustria, l’organisation patronale, et président de la Fiat, considère que « le vote est préférable à la paralysie ». Depuis plusieurs mois, le patron des patrons italiens a ostensiblement pris ses distances avec Berlusconi – pourtant industriel, comme lui -, à qui il reproche de n’être pas parvenu à redonner du tonus à l’économie, en toute petite forme actuellement.
Pressentant la défaite de Forza Italia, son parti, que de nombreux sondages laissaient d’ailleurs augurer, Il Cavaliere, comme on le surnomme ici, avait même tenté de profiter de la mort de Jean-Paul II et du deuil national de trois jours décrété à cette occasion pour repousser à plus tard la consultation. Sèche réplique de Giuseppe Pisanu, son ministre de l’Intérieur : « On peut reporter un match de football, pas des élections. »
Deuil national ou non, les Italiens se sont rendus massivement aux urnes, le taux de participation frôlant les 72 %. Et l’opposition de centre-gauche emmenée par Romano Prodi, l’ancien président de la Commission européenne, a spectaculairement redressé la tête en recueillant 53 % des voix, près de huit points de plus que la coalition berlusconienne. Elle contrôle désormais treize régions d’Italie, dont la plus peuplée, le Latium (Rome et ses environs). « Si nous perdons le Latium, le successeur de Berlusconi sera inévitablement Prodi », avait averti Francesco Storace (Forza Italia), l’ancien président de la région. De fait, la consultation a pris des allures de référendum contre ledit Berlusconi.
La situation économique y est pour beaucoup. Cette année, selon la Commission européenne, la croissance italienne ne devrait pas dépasser 1,2 %, soit le plus mauvais score de la zone euro, après deux années de stagnation (0,4 %). Mais la réforme fédérale que le gouvernement soumettra prochainement au Parlement pose également problème. Mis au point sans tenir compte de l’avis de l’opposition ni même des partenaires de Forza Italia, ce texte accorde aux régions des compétences sensiblement accrues, tout en renforçant parallèlement le pouvoir exécutif. Membre de la coalition, la très populiste Ligue du Nord menace de s’en retirer si la réforme n’est pas adoptée. À l’inverse, ses alliés de l’Alliance nationale et de l’UDC militent pour son retrait. Indiscutablement, ça fait désordre. Comment les électeurs pourraient-ils s’y retrouver ?
De même, les continuels revirements du Cavaliere en politique étrangère ne contribuent pas à donner l’impression que le navire est gouverné d’une main ferme. Pour flatter l’opinion, très majoritairement hostile à la participation des troupes italiennes à la coalition en Irak, le président du Conseil a d’abord fait savoir, le 15 mars, qu’« à partir du mois de septembre nous commencerons à réduire progressivement le nombre de nos soldats ». L’ennui, c’est qu’il avait omis d’en informer ses alliés américains et britanniques. George W. Bush et Tony Blair n’ont que très modérément apprécié et l’ont fait savoir sans ménagement, le contraignant à faire précipitamment machine arrière : « Ce n’était qu’un souhait. Si ce n’est pas possible, ce n’est pas possible… » Et puis, le 7 avril, lors d’un dîner avec Bush, de passage à Rome à l’occasion des funérailles du pape, Berlusconi a remis la question sur le tapis : les 3 200 soldats italiens seront bel et bien retirés progressivement d’Irak, « si les conditions le permettent ». Sans doute cette restriction laisse-t-elle ouverte la possibilité d’une nouvelle volte-face !
Pour Berlusconi, 2005 s’annonce décidément comme une annus horibilis. La précédente s’était d’ailleurs fort mal terminée puisque, le 28 décembre, le chef du gouvernement avait été agressé dans une rue de Milan par un certain Roberto Dal Bosco. Maçon de son état, celui-ci lui avait porté un violent coup à la tête avec le trépied de son appareil photo. La blessure n’était pas grave, mais c’est sans doute le moral du Cavaliere qui a le plus souffert. « Tout cela est le fruit de la campagne de haine menée en permanence contre moi », a-t-il commenté.
Deux mois de répit et, fin février, les juges milanais programment un nouvel épisode du feuilleton judiciaire dont il est périodiquement la vedette. Cette fois, le chef du gouvernement est soupçonné d’évasion fiscale et d’abus de biens sociaux dans une affaire d’achats de droits cinématographiques. Mediaset, son groupe télévisuel, est également mis en cause. 280 millions d’euros auraient été soustraits de ses caisses avant d’être reversés, via des sociétés-écrans, à deux de ses enfants, Piersilvio et Marina. L’enquête suit son cours, mais Berlusconi s’est déjà tiré sans dommage de sept procès pour corruption, alors…
Le 17 mars, à deux semaines des régionales, c’est au sein de son propre parti que l’incendie se déclare. Roberto Calderoli, le ministre des Réformes, annonce sa démission imminente du gouvernement : « À quoi ça sert d’être ministre des Réformes si on ne fait pas de réformes ? s’interroge-t-il. À contempler les poissons rouges dans leur bocal ? » Berlusconi monte au front, promet tout ce qu’on voudra et réussit à convaincre le ministre récalcitrant de rester en poste. Et c’est le moment que choisit Eurostat, l’Office européen des statistiques, pour mettre publiquement en doute la validité des comptes publics du pays ! Peu après, il refuse de valider ceux de 2003 et de 2004.
Devant cette accumulation de déboires, la question ne peut pas ne pas se poser : Berlusconi est-il fini ? Oui, estime le député Antonio Di Pietro Massimo (Démocrates de gauche, ex-PCI), un ancien juge d’instruction : « Le gouvernement a déçu les Italiens et doit démissionner : mieux vaut pour le pays des élections anticipées, tout de suite, qu’une interminable agonie. » Mais Berlusconi, qui explique la défaite de sa coalition aux régionales par le fait qu’il n’a pas personnellement fait campagne, reste apparemment imperturbable. « Je suis absolument convaincu qu’il est impossible de perdre » les législatives de 2006, fanfaronnait-il récemment. C’est beau, l’optimisme !

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